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En reliant les prédictions théoriques aux expériences neutroniques, les chercheurs ont trouvé des preuves de l’existence d’une glace de spin quantique dans du Ce2Sn2O7. Leurs découvertes pourraient inspirer les technologies de demain, telles que les ordinateurs quantiques. Les résultats ont été publiés dans la revue ‘Nature Physics’.

Dans la vie quotidienne, nous sommes entourés d’états de la matière classiques et courants : liquides, solides et gaz. Mais à notre insu, des états bien plus exotiques peuvent être trouvés dans le monde quantique. Citons par exemple les liquides de spin quantiques, qui, à l’instar des liquides que nous connaissons dans la vie de tous les jours, restent liquides même aux températures les plus basses. En d’autres termes, ils ne gèlent jamais, mais demeurent dans un état de fluctuation.

Dans les liquides,  le terme « localement ordonné » signifie que les positions des atomes ou des molécules ne sont organisées que par rapport à leurs plus proches voisins. Dans le monde quantique, les électrons au sein des atomes se comportent comme de minuscules aimants, en raison d’une propriété intrinsèque appelée spin. L’ordre auquel nous faisons référence dans ce cas concerne l’orientation de ces aimants microscopiques – c’est-à-dire leurs moments magnétiques. À basse température, ils peuvent atteindre un état d’ordre local appelé glace de spin.

Cela se produit notamment dans les pyrochlores de terres rares – des cristaux inorganiques tels que le composé Ce2Sn2O7 (Ce = cérium, Sn = étain, O = oxygène). À l’échelle atomique, les pyrochlores sont constitués de nombreuses petites pyramides, appelées tétraèdres. Les sommets de ces tétraèdres sont occupés par des ions magnétiques dont les moments suivent la règle « 2 in, 2 out » : deux d’entre eux sont orientés vers l’intérieur du tétraèdre et deux pointent vers l’extérieur.

Bien que ces orientations fluctuent incessamment, empêchant ainsi un ordre à longue distance même à très basse température, un phénomène connu sous le nom d’intrication quantique à longue distance (LRE) se produit entre les moments magnétiques. La LRE a été décrite par des modèles théoriques dans un système idéal avec des caractéristiques spécifiques. Mais comment savoir si cela correspond à la réalité dans un liquide de spin ?

Heureusement, la LRE donne naissance à des types spécifiques d’excitations magnétiques, qui peuvent être détectées à l’aide de neutrons.s.[1]Cela a été exploité dans une série d’expériences à l’ILL dirigées par Romain Sibille, de l’Institut Paul Scherrer en Suisse. « Nous avons utilisé la diffusion inélastique de neutrons sur les instruments IN5 et IN16B à l’ILL pour caractériser des échantillons de Ce2Sn2O7« , explique Sibille.

Pour une caractérisation optimale des fluctuations magnétiques, les expériences neutroniques ont été réalisées en combinant les performances d’IN5 et d’IN16B. Les données d’IN5 ont permis une description détaillée de ces excitations. « Nous avons également capturé leur dépendance en température pour confirmer l’origine du signal », ajoute Jacques Ollivier, scientifique à l’ILL et responsable de l’instrument IN5. « Nous avons constaté que le signal est particulièrement sensible à la température en dessous de 1 Kelvin.

À la température la plus basse atteinte (0,2 K), l’équipe a observé un signal particulier qui nécessitait d’être caractérisé avec une résolution énergétique plus élevée. Cela a été fait sur IN16B avec l’aide de Markus Appel, chercheur à l’ILL et responsable de cet instrument. IN16B a également permis d’obtenir des données de très haute résolution des excitations magnétiques dans le composé.

L’équipe a été ravie de constater que les données expérimentales étaient bien décrites par les modèles théoriques récents. Ce n’est pas une évidence, en particulier pour les états exotiques tels que ceux décrits ici, et c’est un bel exemple de la puissance de la physique théorique pour décrire le monde qui nous entoure. De manière cruciale, des preuves claires d’un état de glace de spin quantique ont été trouvées dans Ce2Sn2O7. « À notre connaissance, les caractéristiques que nous avons observées sont des descripteurs uniques de l’état de glace de spin quantique de ce matériau », déclare Romain Sibille.

Ce travail ouvre la voie à de futures unifications de la théorie et de l’expérience, ce qui est particulièrement intéressant pour des domaines très complexes tels que la physique quantique et les états exotiques de la matière. Leurs découvertes offrent également un merveilleux terrain de jeu pour explorer davantage les phénomènes quantiques dans des matériaux avec des applications potentielles dans l’informatique quantique.

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