Le 20 octobre 2023, plus de 30 scientifiques embarqueront à bord du Pourquoi pas ?, navire de la Flotte océanographique française opérée par l’Ifremer, pour étudier 5 champs hydrothermaux répartis sur plus de 800 km le long de la dorsale médio-Atlantique, jusqu’à plus de 3700 mètres de profondeur. Cette campagne, nommée Bicose 3, s’inscrit dans la continuité des recherches menées par l’Ifremer pour élucider le mystère de la formation de ces écosystèmes des grands fonds marins et comprendre le cycle de vie des espèces qui les peuplent.
Les grands fonds marins constituaient jusqu’à récemment une frontière à l’exploration scientifique du fait de leur difficulté d’accès. Pourtant, ces milieux que l’on pensait déserts il y a encore quelques décennies regorgent en réalité d’une biodiversité insoupçonnée, qui a su s’adapter à un environnement difficile. Autour des sources hydrothermales, des bactéries, des virus, mais aussi des espèces de plus grande taille comme des crevettes et des moules géantes prolifèrent dans des conditions de pression extrêmes, profitant des eaux chaudes et chargées en gaz toxiques et métaux lourds qui s’échappent du manteau terrestre.
Depuis 2014, l’Ifremer a mené le long de la dorsale médio-Atlantique une série de campagnes océanographiques, Bicose 1 et 2 et Hermine 1 et 2, pour identifier les espèces cachées dans les grands fonds marins et comprendre comment elles se sont adaptées et ont colonisé ces environnements. Cinquième mission de cette série, Bicose 3 réunit plus de 30 scientifiques de l’Ifremer, du CNRS, de l’IRD, de Sorbonne Université et de l’Université de Bretagne Occidentale. L’ensemble de ces campagnes s’inscrivent dans le cadre du contrat d’exploration pour les sulfures accordé à la France par l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM).
Cartographier la biodiversité sur 800 km de dorsale pour comprendre les liens entre les sites hydrothermaux
Les champs hydrothermaux sont des zones de quelques kilomètres carrés, pour les plus grandes, très éloignées les unes des autres. Au fil des campagnes, les mêmes espèces, pourtant plutôt sédentaires y ont été observées : crevettes, moules, escargots, vers tubicoles, bactéries, etc. Depuis plus de 40 ans, les scientifiques se questionnent sur la façon dont ces espèces migrent d’un site à un autre. C’est le cas par exemple entre le champ hydrothermal TAG, vieux d’environ 125 000 ans, et le site Snake Pit, jeune et volcanique : on retrouve les mêmes espèces sur les deux zones, bien qu’elles soient séparées de plus de 300 km d’eaux froides (aux alentours de 2,6°C) et dépourvues des éléments chimiques dont ces espèces dépendent.
L’étude de sites hydrothermaux récemment découverts, en partenariat avec les équipes américaines de la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration), pourrait apporter des réponses précieuses sur la connectivité entre ces zones. Les scientifiques estiment que ces sites pourraient servir de relais à la colonisation de nouvelles sources hydrothermales. Avec 30 plongées avec le sous-marin Nautile, la campagne Bicose 3 a donc pour objectif d’établir une carte précise des champs hydrothermaux, des plus actifs jusqu’aux sites fossiles, et des communautés d’espèces associées sur un segment de la dorsale de 800 km de long, pour appréhender de façon globale le fonctionnement de ces environnements.
Élucider les mystères des jeunes crevettes des abysses et de leur symbiose avec les bactéries
La crevette Rimicaris est l’une des espèces emblématiques des cheminées hydrothermales des grands fonds marins. Si ces crustacés prolifèrent dans des environnements aussi difficiles, c’est grâce à la coopération qu’elles ont mise en place avec des bactéries amies, hébergées dans leur tête. Et pourtant, le mystère reste entier sur la manière dont cette symbiose entre crevettes et bactéries se met en place lors des premières étapes de la vie des crustacés. Pour espérer le découvrir, les scientifiques devront répondre à une question préalable : où se trouvent les larves de Rimicaris ?
« A chaque visite sur les cheminées hydrothermales, nous observons toujours une grande quantité de ces crevettes, parfois jusqu’à 2500 individus par mètre carré. Et pourtant, nous n’avons pas encore réussi à repérer les larves de cette espèce, explique Marie-Anne Cambon, chercheuse en microbiologie à l’Ifremer et cheffe de la mission BICOSE 3. Nous avons décidé de programmer cette campagne à l’automne, l’une des seules périodes à laquelle nous n’avons pas encore plongé sur ces sites hydrothermaux. Nous aurons ainsi une vision complète du cycle de vie de ces crevettes, tout au long de l’année. Nous espérons trouver leurs larves et en capturer quelques-unes grâce aux « pompes à larves » que nous déploierons avec le sous-marin Nautile. »
Au-delà d’élucider la biologie de cette espèce, ces découvertes permettront de mieux comprendre le fonctionnement dynamique des écosystèmes associés aux sources hydrothermales. Ces connaissances sont essentielles pour mieux comprendre comment la vie s’établit dans les grands fonds et mieux évaluer les impacts des activités humaines sur cette vie abyssale.
- CP-Bicose3-d53fa486
CP-Bicose3-d53fa486