À l’occasion du 50e anniversaire de la loi Veil, l’Institut national d’études démographiques (Ined) publie une étude qui éclaire l’évolution de l’accès à l’avortement et des pratiques en France. Cet article, paru dans Population & Sociétés, analyse les transformations majeures dans les modalités de recours à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) et révèle la diversité des situations territoriales et les nouvelles dynamiques observées.
Une augmentation récente après une longue stabilité
Après 30 ans de stabilité autour de 220 000 IVG par an, le nombre a atteint près de 242 000 en 2023. Le ratio est passé d’environ 1 IVG pour 4 naissances à 1 pour 3. L’allongement du délai légal en 2022 n’ayant eu qu’un faible impact, cette hausse pourrait refléter une précarisation sociale et économique et une incertitude grandissante, qui augmenteraient la propension à interrompre une grossesse.
Des méthodes d’IVG diversifiées
Depuis la loi Veil de 1975, le cadre de l’IVG a été progressivement assoupli. La méthode médicamenteuse, introduite en 1988, représente aujourd’hui 80 % des IVG, dont la moitié est pratiquée hors hôpital. Depuis 2016, les sage-femmes sont autorisées à pratiquer des IVG médicamenteuses, et la loi Gaillot de 2022 leur permet également de réaliser des IVG chirurgicales. Cette loi a également allongé le délai légal à 14 semaines de grossesse. Toutefois, ces évolutions restent liées à l’accessibilité aux soins, variable selon les territoires.
Des disparités territoriales marquées dans le recours à l’IVG
En 2023, le taux national d’IVG est de 17 pour 1 000 femmes âgées de 15 à 49 ans, mais il présente de fortes variations régionales : les taux sont plus élevés en Île-de-France, PACA et Outre-mer, tandis qu’ils sont plus faibles en Bretagne et dans le Pays de la Loire. Ces écarts reflètent des inégalités territoriales d’accès et de choix de méthodes d’IVG, souvent dues à une offre de soins inégale, avec une disponibilité variable des professionnels de santé et des infrastructures d’accueil sur le territoire.
Une prise en charge inégale selon la méthode et le lieu de l’IVG
Les infrastructures médicales jouent un rôle crucial dans le choix et l’accessibilité des méthodes d’IVG. En 2023, les IVG médicamenteuses réalisées hors établissement qui représentent 42 % des IVG en moyenne, atteignent jusqu’à 81 % dans certains départements, mais seulement 4 % ailleurs. La méthode chirurgicale en établissement, en recul global, reste très fréquente dans quelques départements (jusqu’à 49 % des IVG). Malgré une diversification des méthodes et des professionnels, l’hôpital public demeure le principal lieu de prise en charge, contrairement aux établissements privés qui n’en pratiquent quasiment plus.
La production et l’approvisionnement en comprimés abortifs au cœur de l’accès à l’IVG
La prépondérance de la méthode médicamenteuse fait de la production et de l’approvisionnement des comprimés abortifs un enjeu central de l’accès à l’IVG. La France dépend actuellement d’un seul laboratoire privé pour la fourniture de comprimés abortifs, exposant l’accès à l’IVG à des risques de pénurie et de variations de prix, ce qui pourrait fragiliser la continuité de l’offre sur le territoire.
Pour l’IMG, l’importance des centres de diagnostics prénatal (CPDPN)
La loi Veil a aussi défini le cadre des « interruptions volontaires de la grossesse pratiquées pour motif thérapeutique » – couramment appelées interruptions médicales de grossesse (IMG). En 2023, 8 400 ont été réalisées en France, soit 5 IMG pour 10 000 femmes âgées de 15 à 49 ans. Le recours varie fortement selon le département de réalisation, notamment en fonction de la présence ou non d’un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal (CPDPN). En 2023, près de 6 départements sur 10 étaient dépourvus de ces centres. Si cela ne signifie pas qu’il n’y a pas d’accès, les variations territoriales suggèrent des inégalités dans la prise en charge, notamment en termes de distance à parcourir pour avorter.
Cette étude de l’Ined met en évidence différents enjeux pour garantir un accès équitable à l’avortement en France. Alors que « la liberté » de recourir à l’IVG a récemment été inscrite dans la Constitution, sa mise en œuvre dépend de la qualité des infrastructures et de l’engagement des acteurs publics pour réduire les disparités.
Auteures : Justine Chaput (Ined, Université Paris 1, HED), Elodie Baril (Ined), Magali Mazuy (Ined)
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