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Des scientifiques de l’Ifremer révèlent dans la revue Science Advances que comme chez la plupart des espèces, l’âge des huîtres creuses influence la survie de leur progéniture : plus les huîtres sont âgées, plus la mortalité de leurs larves est importante. Plus surprenant, les jeunes huîtres issues de parents âgés se sont montrées plus sensibles à l’infection due à l’herpèsvirus OsHV-1, responsable d’épisodes de forte mortalité de jeunes huîtres dans le monde entier. Pour expliquer cette sensibilité, les scientifiques ont étudié deux éléments impliqués dans le vieillissement et communs à toutes les espèces : les télomères (extrémités protectrices des chromosomes) et l’enzyme associée, la télomérase. Ils ont prouvé in vivo sur un organisme entier que la télomérase est activée lors de l’infection virale par OsHV-1, un phénomène déjà observé in vitro chez des cellules humaines en contact avec des virus oncogènes capables de rendre les cellules cancéreuses. L’Ifremer va poursuivre ses travaux pour trouver le moyen de limiter l’activation de la télomérase chez l’huître et espère ainsi contribuer à l’avancée de la recherche sur le cancer chez l’Homme.

Chez l’Homme comme chez la plupart des animaux, l’âge des parents à la conception a généralement des effets négatifs sur leur descendance : la survie et les performances des descendants de parents âgés sont en effet plus faibles. C’est ce qu’on appelle le vieillissement reproductif. Les scientifiques suspectent depuis plusieurs années que les télomères, ces séquences d’ADN répétitives situées aux extrémités des chromosomes, soient l’un des marqueurs qui intègrent l’âge des parents, se transmettent aux descendants et prédisent leur survie plus faible. On sait en effet que les télomères — dont le rôle est de préserver l’information génétique au fur et à mesure des divisions cellulaires — se raccourcissent inexorablement au fil de la vie. Et ce malgré l’action de l’enzyme télomérase qui répare les télomères en les rallongeant lors de la fabrication des gamètes pour que la descendance démarre sa vie avec un capital de télomères suffisant.

La longueur des télomères est ainsi considérée comme une caractéristique du vieillissement commune à toutes les espèces. Néanmoins, le rôle précis des télomères et de la télomérase dans le processus du vieillissement reproductif demeure mal compris chez les vertébrés et encore plus chez les invertébrés et les coquillages qui sont très peu étudiés. En sont-ils le moteur aussi chez l’huître creuse Magallana gigas (autrefois appelée Crassostrea gigas) ?

L’HUÎTRE CREUSE, UN MODÈLE BIOLOGIQUE D’INTÉRÊT POUR EXPLORER LES MÉCANISMES DE TRANSMISSION ENTRE GÉNÉRATIONS

Pour démarrer, les scientifiques de l’Ifremer, en collaboration avec l’Université de Caen, l’Institut de Systématique, Évolution, Biodiversité et l’Institut Universitaire de France, ont croisé 12 mâles avec 12 femelles d’huître creuse de trois classes d’âge (« jeune » de 2 ou 3 ans, « moyen » de 6 ans ou « âgé » de 8 à 10 ans) et produit 36 fratries. Ils ont exploré deux phénomènes : d’une part, le succès du développement de la descendance — c’est-à-dire la survie et la croissance des larves, la résistance des jeunes huîtres (appelées naissains) à une infection virale, en l’occurrence à l’infection due au virus OsHV-1 (ostreid herpesvirus type 1), et la survie des huîtres adultes ; d’autre part, l’effet de l’âge des parents sur la longueur des télomères et les niveaux d’activité de la télomérase qui sert à les réparer.

« En choisissant l’huître creuse comme modèle biologique, nous nous sommes affranchis de la plupart des verrous méthodologiques qui biaisent d’ordinaire ce type d’étude en biologie évolutive, explique Andreaz Dupoué, chercheur en écophysiologie évolutive à l’Ifremer qui a piloté cette étude. Car c’est un animal dont la reproduction est simple et bien maîtrisée ; à chaque reproduction, il produit de nouveaux gamètes dont la qualité est directement tributaire de l’âge des parents ; et enfin, il ne fournit pas de soins parentaux à sa descendance ce qui évite des biais expérimentaux d’une famille à l’autre. »

Premier résultat : des parents âgés produisent des descendants qui survivent et grandissent moins bien, et qui sont plus sensibles à l’infection due au OsHV-1, responsable d’épisodes de forte mortalité des jeunes huîtres creuses dans le monde entier.

Second résultat : les télomères s’érodent plus vite chez les naissains issus de parents âgés. Cette diminution de leur longueur est susceptible d’expliquer leur sensibilité accrue à l’infection due au virus OsHV-1.

SOUS L’EFFET DU VIRUS, L’ENZYME TÉLOMÉRASE EST ACTIVÉE COMME DANS 90% DES CANCERS HUMAINS

« C’est la première fois que l’on démontre in vivo que la télomérase est activée lors d’une infection par un herpèsvirus. Cela avait été montré sur des cellules humaines exposées in vitro à des virus oncogènes, c’est-à-dire susceptibles d’induire des cancers, comme les papillomavirus par exemple, mais jamais sur un animal entier ni en milieu naturel donc dans des conditions aussi réalistes », annonce Andreaz Dupoué.

L’activation de la télomérase est en effet un préalable au développement des tumeurs humaines identifié dans 90% des cancers. Elle agit en rendant les cellules cancéreuses immortelles et permet ainsi la croissance des tumeurs.

Les scientifiques de l’Ifremer ont également montré que si l’action de la télomérase est essentielle aux jeunes huîtres pour résister à l’infection virale, elle devient délétère lorsqu’elle est trop active. Sous l’effet du virus, la télomérase s’emballe et produit des télomères trop longs, ce qui entraine des désordres génétiques et la mort de l’huître une fois adulte.

« Notre démonstration in vivo de cette réaction d’emballement de la télomérase due à l’herpèsvirus ouvre la voie à de nouvelles pistes de compréhension et à la recherche de solutions pour limiter l’activité de la télomérase lors de l’infection virale et réussir à l’« éteindre » d’abord chez l’huître, puis chez d’autres espèces dont l’Homme », espère le scientifique.