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Une nouvelle publication de l’équipe de recherche de Stephen Cusack explique comment une enzyme clé du virus de la grippe aviaire peut muter pour permettre au virus de se répliquer chez les mammifères.

Résumé

  • Le virus de la grippe aviaire doit muter pour franchir la barrière des espèces, infecter les cellules des mammifères et s’y répliquer. 

  • L’équipe de recherche de Stephen Cusack, à l’EMBL Grenoble, a résolu la structure de la polymérase du virus de la grippe aviaire en interaction avec une protéine humaine essentielle à la réplication du virus dans la cellule.

  • La structure de ce complexe de réplication, publiée dans Nature Communications, fournit des informations importantes sur les mutations que la polymérase du virus de la grippe aviaire doit acquérir pour s’adapter aux mammifères, et notamment à l’espèce humaine.

  • Ces résultats peuvent aider les scientifiques à suivre l’évolution des souches de grippe aviaire, telles que H5N1 ou H7N9, et leur adaptabilité à infecter d’autres espèces.

Ces dernières années, les mesures de santé publique, la surveillance et la vaccination ont permis de réduire considérablement l’impact des épidémies de grippe saisonnière, causées par les virus de la grippe humaine A et B. Cependant, une éventuelle épidémie de grippe aviaire A (communément appelée « grippe aviaire ») chez les mammifères, y compris l’homme, constituerait une menace importante pour la santé publique. 

L’équipe de recherche de Stephen Cusack, à l’EMBL Grenoble, étudie le processus de réplication des virus de la grippe. Dans une récente publication, cette équipe met en lumière les différentes mutations que le virus de la grippe aviaire peut acquérir pour pouvoir se répliquer dans les cellules des mammifères. 

Certaines souches de grippe aviaire peuvent provoquer des maladies graves et être fatales. Heureusement, d’importantes différences biologiques entre les oiseaux et les mammifères empêchent normalement la grippe aviaire de se propager des oiseaux à d’autres espèces. Pour infecter les mammifères, le virus de la grippe aviaire doit muter pour surmonter deux barrières principales : la capacité de pénétrer dans la cellule et celle de se répliquer à l’intérieur de cette dernière. Pour provoquer une épidémie ou une pandémie, le virus doit également acquérir la capacité de se transmettre entre humains. 

La contamination sporadique des mammifères sauvages et domestiques par la grippe aviaire devient de plus en plus fréquente. La récente infection inattendue de vaches laitières aux États-Unis par une souche aviaire H5N1, qui risque de devenir endémique chez les bovins, est particulièrement préoccupante. En effet, cela pourrait faciliter l’adaptation du virus à l’homme; certains cas de transmission ayant déjà été signalés, mais qui n’ont jusqu’à présent entraîné que des symptômes bénins.

 

Au cœur de ce processus se trouve la polymérase virale, une enzyme qui orchestre la réplication du virus à l’intérieur des cellules hôtes. Cette protéine flexible peut se réorganiser en fonction des différentes fonctions qu’elle remplit au cours de l’infection. Elle effectue notamment des tâches de transcription (copie de l’ARN viral en ARN messagers pour la fabrication de nouvelles protéines virales) et de réplication (copie de l’ARN viral pour l’empaqueter dans de nouveaux virus).

 

La réplication est un processus complexe à étudier car elle implique deux polymérases virales et une protéine de la cellule hôte, l’ANP32. Ensemble, ces trois protéines forment le ‘complexe de réplication’, une machine moléculaire qui effectue la réplication. L’ANP32 est connue comme une protéine « chaperon », ce qui signifie qu’elle agit comme un stabilisateur pour certaines protéines cellulaires. Elle joue ce rôle grâce à un domaine clé : sa longue queue acide. En 2015, il a été découvert que l’ANP32 est essentielle à la réplication du virus de la grippe, mais sa fonction n’était pas entièrement comprise. 

 

Les résultats de cette nouvelle étude, publiés dans la revue Nature Communications, montrent que l’ANP32 agit comme un pont entre les deux polymérases virales, appelées réplicase et encapsidase. Ces noms reflètent les deux conformations distinctes adoptées par les polymérases pour remplir deux fonctions différentes : créer des copies de l’ARN viral (réplicase) et l’empaqueter à l’aide de l’ANP32 (encapsidase). 

 

Grâce à sa queue acide, l’ANP32 agit comme un stabilisateur du ‘complexe de réplication’, lui permettant de se former au sein de la cellule hôte. Il est intéressant de noter que la queue de l’ANP32 diffère entre les oiseaux et les mammifères, bien que le cœur de la protéine reste très similaire. Cette différence biologique explique pourquoi le virus de la grippe aviaire ne se réplique pas facilement chez les mammifères et les humains. 

 

« La différence clé entre l’ANP32 aviaire et humaine réside dans l’insertion de 33 acides aminés dans la queue de l’ANP32 aviaire. La polymérase doit s’adapter à cette différence », explique Benoît Arragain, postdoctorant dans l’équipe de Stephen Cusack et premier auteur de la publication. « Pour que la polymérase d’un virus de la grippe aviaire copie le génome viral au sein de cellules humaines, elle doit acquérir certaines mutations afin de pouvoir utiliser l’ANP32 humaine. »

 

Pour mieux comprendre ce processus, Arragain et ses collaborateurs ont obtenu la structure des conformations de la réplicase et de l’encapsidase d’une polymérase de grippe aviaire (de la souche H7N9) adaptée à l’homme, et interagissant avec l’ANP32 humaine. Cette structure fournit des informations détaillées sur les acides aminés importants pour la formation du complexe de réplication et sur les mutations qui pourraient permettre à la polymérase de la grippe aviaire de s’adapter aux cellules de mammifères.

 

Pour obtenir ces résultats, Arragain a réalisé des expériences in vitro à l’EMBL Grenoble, en utilisant la Plateforme d’expression en cellules eucaryotes, la Plateforme biophysique de l’ISBG et la Plateforme de cryo-microscopie électronique disponible dans le cadre du Partenariat pour la Biologie Structurale. « Nous avons également collaboré avec l’équipe de recherche de Nadia Naffakh, basée à l’Institut Pasteur, qui a réalisé des expériences cellulaires complémentaires », a ajouté Arragain. « Nous avons également résolu la structure du complexe de réplication de la grippe humaine de type B, qui, dans son architecture, s’est révélée être très proche de celui de la grippe A. Les expériences cellulaires réalisées par nos collaborateurs ont confirmé nos données structurales.”

 

Ces nouvelles connaissances sur le complexe de réplication de la grippe peuvent être utilisées afin d’étudier les mutations de la polymérase dans d’autres souches similaires au virus de la grippe aviaire. Il est donc possible d’utiliser la structure obtenue à partir de la souche H7N9 et de l’adapter à d’autres souches, telles que H5N1.

« La menace d’une nouvelle pandémie causée par des souches de grippe aviaire hautement pathogènes, adaptées à l’homme et présentant un taux de mortalité élevé, doit être prise au sérieux », a déclaré Stephen Cusack, chercheur à l’EMBL Grenoble, qui a dirigé l’étude et étudie les virus de la grippe depuis 30 ans. « L’une des principales réponses à cette menace consiste à surveiller les mutations du virus sur le terrain. Connaître cette structure nous permet d’interpréter ces mutations et d’évaluer si une souche est sur la voie de l’adaptation pour infecter et se transmettre aux mammifères. » 

Ces résultats sont également utiles dans la perspective à long terme du développement de médicaments antigrippaux car aucune molécule existante ne cible spécifiquement le complexe de réplication. « Mais ce n’est qu’un début », a déclaré Cusack. « Ce que nous voulons faire ensuite, c’est comprendre comment le complexe de réplication fonctionne de manière dynamique, en d’autres termes, connaître plus en détail la manière dont il effectue activement la réplication du génome viral.” Le groupe a déjà mené avec succès des études similaires sur le rôle de la polymérase de la grippe dans le processus de transcription virale.

Consulter le communiqué sur le site de l’EMBL

Consulter l’étude: Arragain, B. and al, Structures of influenza A and B replication complexes explain avian to human host adaption and reveal a role of ANP32 as an electrostatic chaperone for the apo-polymerase, Nature Communications, 19.08.2024