Le 7 février 2024, le laboratoire Biomécanique et Bioingénierie (BMBI, UMR CNRS 7338) de l’Université de technologie de Compiègne (UTC) a accueilli une paire d’unités de calcul haute performance (HPC) de nouvelle génération. Fournis par la société Nvidia, les supercalculateurs sont un concentré de technologies innovantes, ouvrant ainsi un large champ de nouvelles applications.
Ces microprocesseurs, ou « superchip » en anglais, dont le nom « GH200 Grace Hopper » rend hommage à la pionnière américaine de l’informatique (elle a inventé le langage Cobol), se distinguent de la concurrence par plusieurs caractéristiques novatrices. Selon Florian De Vuyst, professeur des Universités à l’UTC : « La plus importante est le rapprochement des CPU et GPU sur la même puce avec un flux de communications très rapide entre eux. »
Entre CPU et GPU
Le processeur CPU pour Central Processing Unit est le « cerveau » de l’ordinateur qui effectue tous les calculs nécessaires au fonctionnement de la machine et des programmes installés. Un processeur est souvent doté de plusieurs « cœurs », d’ordinaire 10 ou 20 dans un PC classique, travaillant en parallèle pour une meilleure efficacité : Grace Hopper a quant à elle 72 cœurs d’architecture ARM, soit 72 unités de traitement indépendantes, idéal pour le calcul parallèle !
Né avec l’avènement des jeux vidéo dans les années 1990, le processeur graphique (GPU pour Graphics Processing Unit) est, quant à lui, une sorte de processeur dédié au rendu graphique 3D et au traitement des images. Il dispose, pour ce faire, de propriétés différentes, notamment en termes d’architecture, de contrôleurs et de caches mémoire… Désormais, on peut détourner de leur usage initial ces processeurs de cartes graphiques vers d’autres applications comme le calcul pour renforcer les CPU. Sur la superchip de Nvidia, ce sont ainsi les 20 000 cœurs du GPU (contre quelques milliers dans les GPU classiques récents) qui sont mis à profit, offrant des performances hors du commun pour du traitement massivement parallèle.
Un mariage de raison
Quel intérêt de « marier » CPU et GPU sur un même processeur, comme c’est le cas sur la Grace Hopper de Nvidia, la seule entreprise à proposer une architecture de ce type ? Optimiser et notablement améliorer la communication entre les éléments, en la rendant directe, sans recourir à des éléments intermédiaires comme un bus de communication externe. Dernière nouveauté de Grace Hopper, l’organisation de la puce et des unités de traitement ainsi que l’ajout d’un DPU (Data Processing Unit) dédié à la gestion des données rendent l’ensemble particulièrement pertinent pour des travaux relevant de l’Intelligence artificielle (IA) se réjouit Florian De Vuyst. Par ailleurs, un TPU (Tensor Processing Unit) permet de réaliser des produits matrice-vecteur à demi-précision à des vitesses inouïes de l’ordre du Pétaflops (1 million de GigaFlops) !
La conséquence de toutes ces innovations est un matériel dont la puissance de calcul (une soixantaine de Téraflops FP64) équivaut à ce dont disposaient les grands centres de calcul dans les années 2000-2005 pour simuler par exemple le climat ou la physique atomique, dans un volume réduit à celui d’un nœud de calcul. À performances comparables, la consommation énergétique, autre grand axe de réflexion de l’UTC, est divisée par 1000, passant d’un mégawatt pour un cluster de machines à un ou deux kilowatts. Ces nouveaux supercalculateurs sont donc respectueux de l’environnement !
Pour un établissement comme l’UTC, cette acquisition est remarquable, et l’école rejoint un cercle restreint d’institutions dotées de telles capacités de calcul, notamment l’Inria, le laboratoire d’informatique de Grenoble, l’ENS Lyon, le CERFACS à Toulouse, l’IFREMER… Et c’est toute l’activité de recherches de l’UTC en général et de BMBI en particulier qui va en profiter.
Au bénéfice de la santé
Le laboratoire BMBI est spécialisé dans la compréhension de la biomécanique du corps humain et de sa réparation selon trois axes : les écoulements des fluides, comme le sang, le système musculosquelettique et l’ingénierie tissulaire. Concrètement, raconte Anne-Virginie Salsac, directrice de recherches CNRS au sein du BMBI : « il s’agit par exemple d’ensemencer des biomatériaux avec des cellules pour recréer tissus, de concevoir des prothèses osseuses ou des valves cardiaques (à ce titre, un nouvel implant destiné à la réparation en chirurgie mini-invasive de la valve mitrale a été conçu en collaboration avec l’Hôpital Henri Mondor et le CNRS, et breveté en 2018). » Autre projet phare du BMBI, étudier la dynamique de microcapsules injectées afin de protéger une substance active, tel un médicament, et de la délivrer sur une zone cible, par exemple une tumeur…
Dans chaque cas, les échelles (cellulaire, tissulaire…) et les physiques (mécanique, thermique, électrique…) mises en jeu sont nombreuses, et les besoins de simulation considérables. Anne Virginie Salsac est enthousiaste : « Les superchip Grace Hopper vont vraiment changer la donne en ce qu’elles constituent une vraie rupture en termes de capacités de calcul. » Ainsi, jusqu’à maintenant limitées à deux microcapsules, les prochains travaux pourront porter sur des dizaines.
L’IA sera singulièrement utile ici pour accélérer la mise au point de modèles pertinents et par ailleurs faciles à manipuler, car définis par moins de paramètres tout en restant fidèle au système simulé.
Vers les jumeaux numériques
En ligne de mire se profile la conception des « jumeaux numériques », un enjeu crucial aujourd’hui lorsque l’on parle de santé : chaque patient disposerait d’un double virtuel, un modèle le plus complet possible de sa physiologie et de ses pathologies pour ajuster au mieux le diagnostic, la prise en charge et les solutions thérapeutiques. Un autre de leurs enjeux est la mise au point et certification de dispositifs médicaux, basées uniquement sur la simulation numérique, sans recours aux tests animaux et tests cliniques.
Le laboratoire BMBI ne compte pas monopoliser les deux superchips, bien au contraire. Anne-Virginie Salsac et Florian De Vuyst espèrent fédérer une communauté autour de Grace Hopper, aussi bien à l’intérieur de l’UTC qu’à l’extérieur, réunissant utilisateurs et concepteurs pour partager algorithmes, idées, retours d’expériences, perspectives d’amélioration… C’est tout l’esprit de Grace Hopper qui plane, l’américaine ayant toute sa vie plaidé pour un langage de programmation proche de la langue parlée plutôt que du langage machine plus abscons.
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