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Pour proliférer, prendre forme au sein d’un tissu ou faire face aux contraintes du milieu, les cellules sont capables de mesurer certains paramètres physiques de leur environnement. Deux équipes de l’Institut Curie et du CNRS publient le 16 octobre 2020 dans Science deux articles qui mettent en lumière deux mécanismes physico-biologiques par lesquels les cellules parviennent à appréhender leur taille, afin d’adapter leur comportement prolifératif et migratoire. Ces résultats fondamentaux permettront à plus long terme de mieux comprendre les dérégulations qui peuvent survenir, en particulier dans la formation des tumeurs.

 

Les cellules relèvent d’incroyables défis : elles changent de forme, se divisent et s’adaptent à leur environnement, entre autre sous le contrôle de forces mécaniques. Jusqu’à présent, les phénomènes physico-biologiques permettant aux cellules de mesurer leur taille et leur forme pour croître et se multiplier au cours du développement ou s’adapter à la densité des tissus dans lesquels elles résident étaient méconnus. Aujourd’hui, deux équipes de l’Institut Curie et du CNRS lèvent le voile sur les mécanismes en jeu.

Des « réglets » cellulaires pour mesurer leur taille

De récents travaux ont établi que la prolifération et la morphogenèse des tissus sont toutes deux contrôlées par des forces mécaniques : les cellules sont capables de « sentir » ces forces et d’adapter leur comportement. Aujourd’hui, l’équipe de Yohanns Bellaïche, chercheur CNRS au sein de l’unité « Génétique et biologie du développement » (Institut Curie, CNRS, Inserm, Sorbonne université) va encore plus loin grâce à des travaux multidisciplinaires menés sur des cellules épithéliales de drosophile. Les chercheurs ont découvert qu’en réponse aux forces morphogénétiques, les cellules s’allongent et prolifèrent en formant des fibres de stress. Constitués d’actomyosine, ces faisceaux contractiles tapissent la cellule au niveau des jonctions adhérentes (des ancrages membranaires retrouvés dans de nombreux tissus). Des modélisations physiques et des données expérimentales ont démontré que le nombre de ces fibres de stress augmente avec la taille de la cellule. De plus, la quantité de fibres dépend de la position et du nombre de jonctions tricellulaires[1] dans la cellule. Ces jonctions tricellulaires agissent donc comme une sorte de « réglet » interne qui permet à la cellule de connaître sa taille et d’adapter son comportement.

 

« La découverte de ce mécanisme met en évidence une loi d’échelle entre la taille de la cellule et ses propriétés mécaniques, ce qui est essentiel pour limiter l’élongation des grandes cellules par rapport aux petites cellules, et in-fine pour contrôler la forme des tissus adultes. Une cellule plus grande devrait augmenter sa résistance aux forces externes et ensuite se diviser pour redevenir comme ses voisines », explique Yohanns Bellaïche. « Il reste par ailleurs beaucoup à apprendre des interactions en jeu dans ces processus. En effet, on sait que les fibres de stress agissent en activant une voie de signalisation appelée Hippo-YAP qui est impliquée dans les cancers. »

 

Projets Libres en BIOlogie du cancer 2020 de l’INCa :

Analyser les liens entre forces mécaniques, division cellulaire et formation des tumeurs

Dans la continuité de ses travaux, Yohanns Bellaïche démarre pour 4 ans, en collaboration avec Nicolas Minc (chercheur CNRS dans l’équipe Organisation spatiale de la cellule) et Delphine Delacour (chercheuse CNRS dans l’équipe Adhésion cellulaire et mécanique) de l’Institut Jacques Monod (CNRS/Université de Paris), un projet INCa PLPBIO 2020 avec pour objectif de définir les principes généraux de mécano-biologie couplant la multiplication cellulaire et l’émergence de tumeurs. En alliant des techniques de génétique, de microscopie in vivo, de mesures de forces, ce projet vise plus particulièrement à :

      – Caractériser quantitativement comment des défauts génétiques induisent la formation de tumeurs en contrôlant les forces mécaniques au cours de la multiplication cellulaire.

     –  Déchiffrer comment les cellules « sentent » les forces mécaniques.

     – Définir les voies de signalisation qui protègent les tissus des défauts d’architecture engendrés suite à une dérégulation de la multiplication cellulaire.

En savoir plus sur les projets PLPBIO 2020 sur le site de l’INCa : https://www.e-cancer.fr/Institut-national-du-cancer/Appels-a-projets/Appels-a-projets-resultats/PLBIO-2020

  

Le noyau des cellules « jauge » leur état de compression

 L’équipe de Matthieu Piel, chercheur CNRS, dans l’unité « Biologie cellulaire et cancer » (Institut Curie, CNRS, Sorbonne Université), basée à l’Institut Pierre-Gilles de Gennes pour la microfluidique, s’attache quant à elle à décrypter la façon dont certaines cellules (immunitaires ou cancéreuses) sont capables d’adapter leur comportement lorsqu’elles sont confinées dans un environnement dense.

 

Dans Science, les chercheurs de Curie et du CNRS, en collaboration avec l’équipe de Daniel Müller, à l’ETH de Baal (Suisse) et Alexis Lomakin, un chercheur du Children’s Cancer Research Institute à Viennes (Autriche), mettent en évidence que le noyau des cellules est capable de détecter le degré de compression imposé par l’environnement. Ce résultat est corroboré par une étude publiée dans le même numéro de Science par des chercheurs du Centre for Genomic Regulation (CRG) à Barcelone. Traditionnellement considéré comme un « entrepôt » passif pour le matériel génétique, le noyau se révèle donc être un compartiment actif, capable de convertir rapidement des stimulations mécaniques en signaux biochimiques. En effet, le noyau se déforme avec la cellule, son enveloppe rigide se tend sous l’effet de la déformation. Cette tension va déclencher l’action d’enzymes qui vont permettre aux cellules d’adapter leur état mécanique et leur comportement. « Les enzymes impliquées vont produire des signaux. Ils vont déclencher chez la cellule une contraction qui peut être vue comme une sorte de réflexe d’évasion, comme lorsqu’on serre trop fort un petit animal de compagnie, et ainsi lui permettre de protéger son noyau en échappant au confinement », explique Mathieu Piel, chercheur CNRS. Ces signaux peuvent aussi être ressentis par les cellules voisines et générer des effets collectifs.

 

Ce mécanisme assure un rôle essentiel pour garantir que les cellules, telles que les cellules immunitaires, puissent s’adapter, survivre et se déplacer efficacement dans un environnement surpeuplé et mécaniquement hétérogène comme celui des tumeurs.
 

Matthieu Piel conclut : « Nos résultats montrent que les cellules sont étonnamment résistantes aux forces de compression ; elles surveillent leur propre forme et développent une réponse contractile active lorsqu’elles sont trop déformées. Aujourd’hui, notre enjeu est de réussir à caractériser le spectre complet des signaux déclenchés par la déformation du noyau des cellules et à appréhender les voies de signalisation en jeu, les adaptations épigénétiques et métaboliques impliquées…. des pistes déterminantes pour nos futures recherches ! ».

 


[1] Ces jonctions tricellulaires se situent là où trois cellules se rencontrent et leur nombre varie en fonction de la taille des cellules. Plus les cellules sont grandes, plus le nombre de ces jonctions augmentent.

 

Référence :

      – Apical stress fibers enable a scaling between cell mechanical response and area in epithelial tissue. J. M. López-Gay et al., Science 370, eabb2169 (2020). DOI: 10.1126/science.abb2169

      – The nucleus acts as a ruler tailoring cell responses to spatial constraints. A. J. Lomakin et al., Science 370, eaba2894(2020). DOI: 10.1126/science.aba2894

The nucleus measures shape changes for cellularproprioception to control dynamic cell behavior. V. Venturiniet al.,Science 370, eaba2644(2020). DOI: 10.1126/science.aba2644 

 

Contact presse Institut Curie :
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A propos de l’Institut Curie

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