Après plus de 15 ans sans le moindre signe, l’énigmatique saumon-carpe géant du Mékong, surnommé « le fantôme du Mékong », refait surface, mettant fin au débat sur son extinction. Une équipe internationale de scientifiques, impliquant Sébastien Brosse, enseignant-chercheur à l’université Toulouse III – Paul Sabatier au sein du Centre de recherche sur la biodiversité et l’environnement (CRBE – CNRS/IRD/Toulouse INP/UT3), vient de révéler que trois nouveaux individus de cette espèce ont été capturés entre 2020 et 2023. Ces résultats ont été publiés dans Biological Conservation le 13 octobre et soulignent la nécessité de s’appuyer sur des méthodes innovantes d’inventaire de biodiversité pour développer des plans de conservation ambitieux.
Comme l’esturgeon, le silure ou l’arapaïma, le saumon-carpe géant (Aaptosyax grypus) fait partie des plus grands poissons d’eau douce du globe, que l’on regroupe sous le terme de méga-poissons. Pourtant, malgré sa grande taille (jusqu’à 1 m 30 et 30 kg) ce poisson, qui n’habite que le fleuve Mékong et ses affluents, est particulièrement rare et insaisissable. Il n’a été scientifiquement nommé qu’en 1991, et en tout et pour tout, moins de 30 individus ont été recensés.
De plus, aucun spécimen n’ayant été rencontré depuis 2005, l’espèce était considérée comme probablement éteinte. Cette hypothèse s’est récemment révélée fausse suite à la capture de trois individus adultes entre 2020 et 2023, confirmant donc que ce poisson peuple toujours les eaux du Mékong.
Fait surprenant, ces trois spécimens ont été capturés au Cambodge, loin de la zone où l’on pensait que l’espèce se trouvait. « Cela laisse penser que l’aire de distribution de ce poisson est plus large que ce le l’on croyait auparavant », estime Sébastien Brosse. « Il faut cependant rester prudents quant au potentiel de survie de l’espèce, qui reste considérée comme en danger critique d’extinction par l’union internationale pour la conservation de la nature ».
Pour mieux connaitre cette espèce, les scientifiques proposent de s’appuyer sur des méthodes non-invasives d’inventaires de biodiversité, comme la collecte de l’ADN que libèrent ces animaux dans l’environnement en renouvelant leurs cellules, ainsi que dans leurs excréments, urine ou mucus. Cet ADN, nommé ADN environnemental, peut être collecté par une simple filtration de quelques dizaines de litres de l’eau du fleuve, permettant ainsi de détecter les organismes vivant dans le milieu. Cette méthode permettrait donc de mieux cibler la distribution actuelle du saumon-carpe géant sans nécessité d’observer ou de capturer des spécimens.
Les chercheurs invitent également les pêcheurs locaux à devenir des protecteurs de ce poisson rare. Grâce à des projets de sciences participatives développés conjointement au Cambodge, en Thaïlande et au Laos, les pêcheurs pourraient signaler toute observation ou capture, participant ainsi activement à la survie de cette espèce emblématique.
D’après Sébastien Brosse « le développement de telles initiatives pourrait non seulement aider à la conservation du saumon-carpe géant, mais contribuerait également à conserver l’ensemble de la faune aquatique du Mékong qui compte de nombreux méga-poissons en danger d’extinction, dont le poisson-chat géant du Mékong ou et la raie d’eau douce géante ».
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