La déclaration a été publié par Libération ici.
Elle ne s’exprime pas sur le volet scientifique de cette affaire – l’intérêt ou la pertinence de l’étude de Gilles-Eric Séralini sur l’effet sanitaire d’une diète de maïs transgénique NK 603 et de l’herbicide Round Up – mais sur son volet médiatique. En particulier sur l’exigence de confidentialité, via un document écrit à signer, que l’équipe de Séralini avait imposé aux journalistes sélectionnés en échange de la fourniture de l’article avant publication.
Cette déclaration explique le sens de l’embargo dans la pratique des journalistes spécialisés en sciences et celui de la confidentialité exigée par Séralini. La confusion a été entretenue sur ces deux points, il était donc important de les clarifier.
L’étude de Gilles-Eric Séralini devrait faire l’objet d’un avis de l’ANSES et du Haut conseil des biotechnologies la semaine prochaine. Gilles-Eric Séralini a été auditionné à l’Assemblée Nationale (lire cette note). Lire également sur le blog, cette note sur les premiers affrontements soulevés par cette affaire, une autre sur l’Appel à un débat raisonné publié sur le site web du Cnrs et signé de plus de 150 chercheurs, cette note sur le volet médiatique et la pratique de communication de l’équipe Séralini, et cette note sur les études de l’INRA visant à développer des techniques permettant de se passer des herbicides, un éclairage intéressant du sujet.
Voici la déclaration de l’AJSPI :
Déclaration de l’Association des journalistes scientifiques de la presse d’information (AJSPI)
Embargo et confidentialité des informations scientifiques
Dans la polémique soulevée par la publication d’une étude sur le risque sanitaire d’un maïs génétiquement modifié et d’un herbicide réalisée par Gilles-Eric Séralini, l’embargo et la confidentialité ont été évoqués par certains protagonistes. Ces sujets sont au cœur de la pratique des journalistes spécialisés en sciences et nous regrettons que des informations erronées aient pu être émises à ce propos.
L’embargo est une pratique que nous approuvons. Mis sur un article publié dans une revue scientifique, il consiste à interdire de le citer avant sa publication. Cela ne vise en aucun cas à assurer à cette dernière une position commerciale ni une exclusivité de l’information au sens du «scoop» tant recherché par la presse généraliste. L’objectif unique est la qualité de l’information, tant des scientifiques que du public.
Pour ce qui concerne les scientifiques, il s’agit d’assurer aux auteurs de l’étude que c’est bien toute l’information contenue dans leur article qui sera rendue publique, et non des bribes susceptibles d’une présentation déformée. En outre, il s’agit de respecter une règle déontologique de la recherche scientifique, la non duplication des publications dont une étude récente (Ferric C. Fang et al, PNAS 1/10/2012) déplore qu’elle se multiplie.
L’embargo permet aux journalistes spécialisés en sciences et accrédités auprès des revues scientifiques de disposer à l’avance des articles – une semaine pour Nature, Science ou les PNAS – afin de soumettre ces articles au regard critique des scientifiques du domaine qui peuvent être laudateurs comme négatifs. Cette démarche repose sur un traitement équitable – tous les journalistes accrédités disposent de l’information et non un groupe choisi – ainsi que sur la vigilance et la modestie des journalistes scientifiques, bien placés pour savoir les limites de leurs connaissances et la complexité des informations scientifiques, en particulier le fait qu’une étude publiée ne sera pas nécessairement confirmée par la suite. La liberté académique, et donc aussi celle de se tromper, de produire une science médiocre ou des résultats faux, étant la condition sine qua non à la possible mise en cause des résultats et théories antérieurs, voie normale et fréquente du progrès des connaissances.
A l’inverse, nous récusons et condamnons la clause de confidentialité imposée par l’équipe de Gilles-Eric Séralini. Celle-ci consistait à fournir à quelques journalistes sélectionnés l’article sous embargo, en leur réclamant en contrepartie de ne pas recueillir l’avis d’autres scientifiques sur cette étude. Ce qui visait clairement à obtenir une présentation biaisée de cette étude, dénuée de tout regard critique ou simplement compétent. C’est pourquoi cette clause fut repoussée par certains journalistes scientifiques sollicités, puis dénoncée, en France, par l’Union Européenne des Associations de Journalistes Scientifiques (1) et ailleurs (2), comme contraire aux bonnes pratiques résultant de concertations entre le monde scientifique et celui des journalistes spécialisés en science.
(1) Communiqué de l’UESJA http://networkedblogs.com/D5nZ0
(2) Carl Zimmer (New-York Times) : «C’est une façon âcre, corrompue, de parler de la science. C’est mauvais pour le scientifique impliqué, mais nous journalistes devons admettre que c’est également mauvais pour notre profession. (…) Si quelqu’un vous fait signer un accord de confidentialité, de sorte que vous n’aurez d’autre choix que de produire un article unidimensionnel, fuyez. Autrement, vous vous faites manipuler.»
Paris, le 15 octobre 2012
Le bureau de l’AJSPI