Sylvestre Huet, président de l’AJSPI a été entendu dans le cadre de la préparation du rapport du Sénat « Faire connaître et partager les cultures scientifiques, techniques et industrielles : un impératif ».

A lire ici.

M. Jean Pierre Leleux :
Maud Olivier est excusée. Elle est retenue par le débat sur la loi Peillon. Nous avons procédé à une première phase de notre démarche qui s’est traduit par la rédaction d’une étude de faisabilité. Nous avons déjà écouté beaucoup de partenaires et d’acteurs ; d’élément de médiation entre la science et le grand public, qu’elle soit scolaire, universitaire etc. Vous êtes président de l’association des journalistes de la presse scientifique, vous êtes donc au centre de la médiation entre les métiers du journalisme et les lecteurs. Je voudrais donc vous entendre sur le fil conducteur que le courrier exprime. Si vous le souhaitez, nous attendons aussi quelques éclaircissements sur lesquelles le législateur pourrait se positionner pour promouvoir une stratégie nationale de diffusion CST.
M. Sylvestre Huet
Je voudrais faire une rectification, je suis président de l’Association des journalistes scientifiques de la presse d’information et non pas de la presse scientifique. Nous travaillons dans toute la presse et non pas seulement sur la presse scientifique. Le mot « presse d’information », qui peut paraître redondant, a été choisi à la création de l’association pour montrer que nous ne regroupons que des journalistes et non pas de communicants.
Première question : « D’après votre expérience, estimez vous que les relations entre, d’une part, les scientifiques et les médias et, d’autres part, entre ces deux communautés et le public sont plus mauvaises en France qu’à l’étranger ? Si oui, à quoi cela tiendrait-il ? ».
J’aimerais attirer votre attention sur la formulation de la question. Il existe une communauté scientifique au sens d’une communauté produisant un savoir et qui, par des règles internes, évalue la qualité du savoir produit par un processus permanent de revue par les pairs. Il existe donc une communauté scientifique qui détermine la « vérité du moment ». En revanche, cette communauté est divisée en différentes opinions politiques sur l’usage des sciences et des technologies. Sur ce point il n’y a pas de communauté. Il n’y a pas non plus de communauté des journalistes. La presse offre un panorama très diversifié, et les journalistes travaillent de manière isolée les uns des autres. Les journalistes scientifiques de chaque rédaction sont beaucoup plus liés aux pratiques et orientations éditoriales de la rédaction à laquelle ils participent plutôt qu’à une communauté de journalistes scientifiques.

Toutefois, les journalistes spécialisés en science, très peu nombreux à l’échelle française (environ 300) – représentée majoritairement par l’AJSPI – se distinguent des autres journalistes beaucoup plus nombreux ou de ceux qui occupent des fonctions de direction dans les journaux et peuvent être conduit à écrire sur des sujets scientifiques ou techniques. Cette disction provient de ce que les journalistes spécialisés en science savent comment la science fonctionne, comment elle se produit, comment elle se transforme, comment les scientifiques sont organisés et le type de relations qu’ils entretiennent avec les pouvoirs politiques ou économiques. Cette connaissance provient d’échanges soutenus avec des chercheurs (visites, rencontres etc.), de la fréquentation de leurs productions scientifiques et des débats qu’elles soulèvent.

Voici deux exemples illustrant la spécificité de la pratique spécifique des journalistes scientifiques :


  • à l’époque de la grande campagne du Climate Gate, juste avant le sommet de Copenhague de 2009, la rédaction en chef du journal de France 2 avait décidé de mettre en scène un débat entre deux scientifiques. Le premier, Jean Jouzel, soutenait que le changement climatique était d’origine anthropique alors que le deuxième, Vincent Courtillot, présenté sur le même plan, soutenait la thèse inverse. Le journaliste scientifique de France-2 a refusé de faire le sujet. En effet, il savait que Jean Jouzel était effectivement un spécialiste du climat et donc une parole légitime sur ce sujet, ce qui n’était pas le cas de Vincent Courtillot, un géophysicien non spécialiste du climat. Il était donc impossible de faire un face à face et de mettre sur le même plan ces deux scientifiques, c’eût été duper le télespectateur. La décision de France 2 fut de se tourner vers un journaliste non spécialisé qui a accepté de traiter ainsi le sujet. La direction de la rédaction de France-2 a considéré comme sans intérêt le fait qu’en science certaines personnes ont des spécialités et qu’il faut le prendre en compte pour garantir la qualité de l’information.

  • À peu près à la même époque l’hebdomadaire le Point a consacré sa Une – et plus de 10 pages – à Claude Allègre et son discours sur le climat. Sur les dix pages il y en avait deux de bonne qualité d’un point de vue de l’information scientifique. Ces deux pages n’étaient pas signées, ce qui est très rare. J’ai appris par la suite qu’elles avaient été écrites par le journaliste scientifique du Point qui avait refusé de signer son article – c’est un acte violent – en protestation du reste du dossier qui présentait M. Claude Allègre comme un grand scientifique, légitime sur ce sujet et qui contestait les conclusions de ses collègues spécialistes du climat, ce qu’il n’est pas. Notre collègue du Point savait, comme d’autres journalistes spécialisés en sciences, que Claude Allègre n’a jamais travaillé sur ce sujet et qu’il a très souvent menti à ses auditeurs sur les résultats des sciences du climat.



Les journalistes spécialisés en science sont donc soucieux d’être rigoureux dans l’information du public, un souci parfois contredit par des directions soucieuses d’autres critères que la qualité de l’information (le budget, l’audimat, le scoop…)
Enfin, sur l’affaire Séralini, j’ai déjà été auditionné par l’OPECST. Je veux seulement rappeler la nécessité de respecter les règles de l’embargo qui permettent aux journalistes scientifiques d’avoir accès aux articles à paraître avant la parution afin de les soumettre au regard critique d’autres scientifiques. Un des moyens à notre disposition pour améliorer la qualité des informations. En ce moment par exemple, les journalistes spécialisés en astrophysique préparent des articles qui paraitront vendredi car jeudi, il y aura un scoop mondial : l’Agence spatiale européenne va révéler la carte du rayonnement cosmologique, que le télescope spatial Planck a permis de réaliser. Grâce à l’embargo, nous pouvons demander l’avis de plusieurs scientifiques, ce qui permet une meilleure information du public. C’est ce que voulait interdire Mr Séralini afin d’obtenir des articles uniquement positifs sur son étude. Sur cette affaire, il est également à remarquer que nombre de journalistes ont écrit sur ce sujet, mais que très peu avaient lu l’article scientifique. Pour avoir une presse de qualité il faut pourtant des journalistes qui fassent ce travail.
L’essentiel des déformations dans la présentation de la science ne vient pas forcement d’un manque de dialogue entre les journalistes scientifiques ou d’une incapacité des scientifiques à communiquer. L’origine des déformations provient plutôt, de manière générale, des défaillances internes à la presse. Il s’agit de ses difficultés économiques, du modèle des directions, de la domination de l’audimat, donc du visuel, et de l’absence d’ambition culturelle.

La deuxième raison de ces déformations, c’est le manque de bonne volonté des acteurs des polémiques publiques à propos d’usages des technologies. Sur les sujets les plus sensibles, c’est à dire ceux qui donnent lieu à des débats et des choix sociétaux, la plupart des acteurs sociaux de ces débats – partis politiques, industriels, ONG, parfois scientifiques – n’ont pas pour objectif d’aider la population à débattre de manière argumentée mais de l’emmener dans la direction de leur choix. Ils adoptent un discours qui relève de la propagande et non de la pédagogie ou du débat argumenté. Nous sommes dans un jeu dans lequel nous observons des acteurs qui fabriquent du faux. Je parle ici aussi des industriels et de certains scientifiques. Des chercheurs comme Naomi Oreskes l’a établi, ont pu être entraîné dans cette dérive, même s’ils sont très minoritaires. On l’a constaté avec le climato-scepticisme: certains scientifiques fabriquent délibérément du faux ou du non pertinent de manière à manipuler l’opinion publique.
Toutefois, il faut noter une responsabilité écrasante des hommes et femmes politiques à ce sujet. Malheureusement, très souvent, les responsables politiques interviennent sur des dossiers scientifiques et techniques dans un objectif politique à court terme, ce qui se traduit par des simplifications abusives ou des omissions volontaires d’informations cruciales. J’ai toujours été frappé du fait qu’il y ait très peu de politiciens qui assument les choix technologiques (de politique énergétique par exemple) qu’ils prennent. Je n’ai jamais vu un député expliquer à ses électeurs pourquoi il fallait suivre une orientation particulière pour l’électricité, comment la loi a décidé de gérer les déchets nucléaires, etc. Ces questions sont traitées par le silence ce qui induit l’incompréhension de la population. C’est un résultat classique de sociologie que la confiance ou la défiance de l’opinion publique sont indéxées sur la confiance des citoyens envers leurs élus et le gouvernement. Vous savez que ce niveau de confiance est aujourd’hui très bas. Aujourd’hui les citoyens ne font plus confiance aux politiques sur ces sujets souvent très peu traités par les responsables politiques. L’OPECST en est un exemple : il n’y a pas beaucoup de parlementaires volontaires pour participer.

2ème question : « Suffirait-il de transposer en France le Science Media Center – considéré en Europe comme un véritable modèle (puisque même les Allemands veulent en créer un) – pour qu’enfin les scientifiques communiquent mieux et que les journalistes informent sur la science de façon suffisante et satisfaisante ? »
Une structure de ce type ne pourrait pas améliorer à elle seule la situation. Si une telle structure devait voir le jour, elle devrait se prémunir d’un certain nombre de dérives. Les discours de certains scientifiques, et surtout ceux qui animent des institutions, sont en décalage avec les attentes de la société. Ils partagent souvent l’idée que le progrès social dérive directement de la science, des technologies. Cette idée provient du 19ème siècle mais a été renforcé au cours des 30 glorieuses. Même si elle comporte une part de vérité, elle n’a plus cours dans notre société sous une forme aussi simpliste. Ces scientifiques pensent donc souvent qu’il y aurait une ignorance à dissiper. Pour eux, la solution relève de la pédagogie où les scientifiques eux mêmes auraient un rôle décisif puisqu’ils seraient porteurs du message à diffuser. Dans ce discours, les vertus morales supposées de la science sont mises au service de l’acceptation sociale de la technologie. Ce discours est souvent repris par les diverses institutions scientifiques et des académies.

Nous avons déjà eu une sorte de mini Science Media Center en France dans les années 90 qui s’appelait « Science Contact», une structure mixte Cité des Sciences/ Académie des sciences qui fonctionnait comme une interface entre journalistes et scientifiques sur la base d’un panel de scientifiques choisis exclusivement par l’Académie des sciences. Si un Science Media Center devait voir le jour en France, il faudrait garantir une concertation avec plusieurs acteurs, et pas seulement une institution comme l’Académie des sciences, et sa direction devra comporter des acteurs sociaux différents, y compris des représentants des journalistes. L’AJSPI est volontaire pour y participer.
M. Hervé Razafimahaléo :
Quant est-il du financement du Science Media Center ? Le Science Media Center de Londres autorise des dons à hauteur de 5% du montant total…
M. Sylvestre Huet :
Le problème se niche dans le niveau de défiance envers les industriels qui sont soupçonnés d’utiliser le message scientifique comme justification de leur utilisation des technologies. Dès lors que vous aurez un financement de ce type, vous aurez la suspicion du public. Le minimum serait un financement public même si ça ne garantit pas la confiance. Ainsi, moins de la moitié des Français ont confiance dans l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire, alors que sa compétence ne peut être mise en doute et que cet organisme est depuis 2006 indépendant du CEA, avec une ligne budgétaire autonome, entièrement publique.
M. Hervé Razafimahaléo ?
Et si nous prévoyons le plafonnement des financements de chacun ?
M. Sylvestre Huet :
Nous ne sommes pas dans le rationnel. Même si il y a une dilution de chacun des grands acteurs, c’est le fait même qu’il y ait un financement d’un Areva, EDF, Total qui ruinera la confiance du public.
M. Jean Pierre Leleux :
Comment rétablir la confiance et la crédibilité ?
M. Sylvestre Huet :
Il n’y a pas de solution rapide à cette question, elle exige une pratique longue. Il faut que les acteurs fassent la démonstration de leur indépendance. Cela se heurte à des expériences passées. L’IRSN paye encore les mauvaises pratiques de M. Pellerin de 19862.qui a caché les valeurs extrêmes de contamination derrière des moyennes rassurantes, ou s’est exprimé sur les causes de l’accident de Tchernobyl et le nombre de victimes en URSS alors qu’il n’était ni habilité ni compétent pour le faire, ce qui l’a conduit à déclarer le 29 avril, par exemple “il y a certes un problème d’hygiène publique mais pas de réel danger, et certainement pas plus loin que 10 à 20 km au nord de la centrale”. La confiance ne se décrète pas, elle s’obtient au bout d’un long effort et il est très facile de la perdre.
Troisième question : « S’agissant de la télévision, le rapport Birraux-Le Déaut (L’innovation à l’épreuve des peurs et des risques) a préconisé la création d’une chaîne thématique consacrée à la science. Une telle solution paraît-elle plus crédible qu’une obligation d’informer, inscrit sur les cahiers des charges, et dont le non-respect serait sanctionné financièrement ? Les chaînes françaises ont-elles les moyens techniques, et la volonté de produire des émissions de qualité analogues à celles de la BBC ? »
Le secteur public de l’audiovisuel peut se voir assigner une ambition dans le domaine de la CST par le gouvernement. Pour accroitre le volume et la qualité des émissions de CST sur les chaines hertziennes, plutôt qu’un illusoire respect des cahiers des charges – qui est facile à contourner -, un collègue me suggère que la meilleure solution serait un fonds de soutien pour de développement de ces programmes. Cela existe déjà, comme les bourses de coproduction d’Estime Numérique via le grand emprunt, gérées par Universcience. Il faut favoriser la production de programmes scientifiques.

Les quotas ne sont pas judicieux car il est facile de “faire semblant” de proposer des émissions scientifiques. Et ce, même si il y a des sanctions. Il est très facile de faire passer des émissions comme scientifiques alors qu’elles ne le sont pas comme l’émission des frères Bogdanoff. Il vaudrait mieux favoriser le soutien à des émissions qui ont une ambition culturelle réelle.
Pourquoi ne pas faire une chaine thématique, si ce n’est pas une alternative au besoin de science sur les chaines généralistes ? Il faudrait par ailleurs prendre en compte l’évolution économique et l’utilisation des technologies (web, tablettes, etc.). On pourrait favoriser des productions qui ne se limitent pas au traditionnel « 52 minutes» comme des formats courts visant une diffusion large, notamment auprès des publics jeunes de plus en plus branchés web et de moins en moins télévision. Il faut prendre cet aspect en compte. Universcience a commencé à travailler là dessus, notamment avec les WebTV et les formats courts. Je pense que c’est ça qu’il faut encourager. Ces émissions sont diffusées sur le Web. On peut aussi imaginer que l’éducation nationale utilise ces matériaux pour l’animation des cours.
M. Hervé Razafimahaléo :
Cela nécessiterait un équipement ?
M. Sylvestre Huet :
Pas vraiment, les lycées sont déjà équipés, il y a déjà des ordinateurs. Les jeunes ont aussi déjà leur ordinateur. Sur cette question de l’audiovisuel scientifique, il faut avoir une vision large des possibilités de diffusion : la radio, le cinéma, les expositions etc.
Question quatre : « Vous semble-t-il possible et souhaitable d’imposer des cours de culture scientifique et technique aux étudiants journalistes généralistes ?
L’Etat n’a pas les moyens d’imposer un contenu aux formations, mais le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche peut parfaitement discuter avec les universités qui proposent des formations de journalistes sur le contenu de ces formations. Je fais des interventions à Paris Diderot, à l’ESJ à Lille, à Science po, à Montpellier, mais il s’agit souvent de trois heures en fin d’année. Il s’agirait plus d’une sensibilisation qu’une réglementation qui serait contraire avec le discours général sur l’autonomie des établissements.
Cinquième question : « Quelles appréciations portez-vous sur les politiques poursuivies en matière de culture scientifique et technique ? Sont-elles des outils efficaces permettant : le redémarrage de l’ascenseur social, l’accès à la culture des publics profanes, une meilleure formation des étudiants et des salariés en vue d’accroître la compétitivité de la France ? »

Le problème central de la diffusion de la CST est l’objectif qu’on lui assigne.

Le discours récurrent depuis une vingtaine d’année sur la désaffection des jeunes pour les filières scientifiques, sur la méfiance accordée aux technologies est simpliste et même faux. Il n’y a pas de désaffection des étudiants envers les formations scientifiques d’une manière générale. Il y a moins d’étudiants qui s’inscrivent en licences de Maths, de Physique et de Chimie. Mais, au total, si vous prenez tous les jeunes qui sont en classes préparatoire, en médecine etc., ils sont aussi voire plus nombreux qu’avant. Le nombre de CDD ou de chomeurs parmi les docteurs es-sciences qui cherchent un emploi scientifique stable prouve que les jeunes sont raisonnables de ne pas s’engager massivement dans ces filières. Aujourd’hui, les jeunes savent qu’il vaut mieux être bon en informatique que d’avoir un doctorat en biologie pour trouver du travail.

Sur l’acceptation sociale des technologies, il serait très dangereux d’avoir une confiance aveugle dans les technologies et de ne pas les critiquer. Les Japonais viennent de nous faire une démonstration sans appel d’un tel danger. 3 Une société qui utilise de manière aveugle les technologies, sans réfléchir aux risques, aux moyens, aux applications alors qu’elles sont de plus en plus puissantes, serait une société folle. Plus une technologie est puissante, plus elle peut rendre de services, mais plus elle est dangereuse. La technologie puissante et douce n’existe pas. Promouvoir une attitude béate devant les progrès de la science et de la technologie serait donc complètement irresponsable, ce serait d’ailleurs une sorte de non-sens culturel que d’assigner un tel objectif à la culture scientifique et technique. C’est aussi l’une des questions du crédit impôt-recherche. Il repose sur un postulat : toute innovation développée par une entreprise privée – qui le fait pourtant à des fins commerciales – est tellement bonne qu’il faut la soutenir par des deniers publics sans prendre en compte les dangers sociétaux qu’elle pourrait comporter. C’est un leurre.

Finalement, l’objectif de la CST ne doit pas être de faire passer la pilule des technologies. Je me souviens qu’au début de la LOLF, l’indicateur majoritaire de la Cité des sciences était que les sondages à la sortie de l’exposition montrent une meilleure acceptation de l’usage des technologies. C’est absurde. Cela signifie que les responsables politiques caressent l’idée que la CST est un moyen pour faire accepter les technologies et leur usage massif, gommer les oppositions. Il me semble qu’il faut avoir comme objectif l’amélioration des capacités de la société à discuter des technologies et de leurs usages pour permettre des choix adaptés à nos objectifs culturels, économiques et sociaux. Il faut apprécier les technologies possibles en fonction de critères que nous avons fixé dans notre société : création d’emplois, sauvegarde de la liberté individuelle, amélioration du confort de vie, vecteur d’apaisement dans la société, sauvegarde de l’environnement etc. Il faut aider la société à critiquer les nouvelles technologies par des critères qui lui sont propres. Evidemment, ce n’est pas facile à faire. L’objectif est différent de celui de « convaincre » la société d’accepter toute technologie par idéologie.
M. Jean Pierre Leleux :
Combien de membres journalistes représentez vous ?
M. Sylvestre Huet :
268 adhérents.
M. Jean Pierre Leleux :
Au même titre que la charte déontologique dans la presse généraliste, avez vous une charte spécifique aux journalistes scientifiques?
M. Sylvestre Huet :
Non, les chartes journalistiques du 19ème siècle suffisent : honnêteté, transparence des sources, présentation équilibrée des points de vue, signature des articles etc. Les journalistes scientifiques sont souvent considérés comme la bête noire dans les rédactions puisqu’ils ont un souci de rigueur dans le traitement de leurs sujets qui s’explique par leurs contact continu avec la science.
M. Jean Pierre Leleux :
Il y a deux expressions que vous avez utilisées. Premièrement, vous avez parlé de responsabilité « écrasante » du politique dans la rupture du lien de confiance. Deuxièmement, vous avez évoqué ce lien de confiance : vous avez parlé « d’indépendance ». Ce mot existe il ? Est ce que c’est possible de paraître indépendant ; d’être indépendant ?
M. Sylvestre Huet :
Cette responsabilité écrasante est de facto : la confiance de l’opinion publique envers la science et ses applications est directement indexée au bon ou mauvais fonctionnement du système politique et des élus. C’est un résultat de sociologie. Comme leur responsabilité est de facto, celle de renverser la situation actuelle leur revient. Personne ne peut le faire à leur place. Il faut se poser la question : comment nos sociétés qui utilisent des technologies de plus en plus sophistiquées peuvent-elles s’organiser pour gérer ces évolutions ? Sûrement pas avec des « sur hommes » qui seraient omni-compétents.

Les politiques ne sont pas omni-compétents. Je n’attends pas du Président de la République qu’il connaisse le fonctionnement technique d’une arme nucléaire tout comme je n’attends pas des députés de connaître les techniques de la transgénèse végétale. La compétence des hommes politique s’exerce sur la manière dont la société doit s’organiser pour utiliser et gérer au mieux les avantages et les inconvénients de ces technologies. On peut comprendre que l’énorme volume des connaissances soit impossible à synthétiser et à maitriser. En revanche, pour gérer cette complexité, il faut une organisation sans faille. Par exemple, je ne souhaite pas que chaque député soit capable d’expliquer la fission nucléaire ou le confinement géologique des déchets radioactifs. En revanche, je souhaite que chaque député connaisse la loi sur la sureté nucléaire, qu’il a voté, et qu’il soit capable d’expliquer à ses électeurs comment on s’organise en France pour gérer le risque nucléaire. Or, quand je demande à M. Pierre Cohen combien il y avait de députés en séance quand la loi TSN (Transparence et sûreté nucléaire) a été votée et combien de députés en connaissent le contenu, j’obtiens un chiffre trop faible.

Dans le domaine nucléaire, l’IRSN, des spécialistes des cuves sous pression, des spécialistes de la fission nucléaire, des spécialistes de la radioactivité, de la chimie etc. C’est cet ensemble organisé qui permet d’évaluer le risque d’une centrale nucléaire. Les personnes qui dirigent ces structures doivent déterminer où se trouvent les compétences et comment les coordonner. Il faut que les députés sachent que cet organisme existe, qu’il est indépendant, qu’il est de bon niveau etc. Il faut que les hommes politiques nomment à la tête de ces organismes des personnalités qui seront respectées dans leurs capacités à gérer ces structures avec compétence et honnêteté et qu’elles soient protégées des pressions éventuelles.

Par exemple, le président de l’Autorité de sureté nucléaire ne peut pas être jeune. Pas seulement parce qu’il faut de l’expérience pour la fonction mais surtout pour évitet qu’il puisse être influencé dans ses choix en fonction de l’évolution de sa propre carrière. Il faut que la personne nommée occupe le poste comme un dernier poste. On ne peut pas contraindre un tel responsable à se demander si ses décisions impacteraient sa carrière future. Les Présidents de la République, du Sénat et de l’Assemblée Nationale nomment les commissaires de l’Autorité de sureté nucléaire. Il faut que la société ait confiance en la capacité de ces trois responsables à nommer des personnalités qui seront en adéquation avec ces nécessités. C’est de cela qu’il faut discuter avec les citoyens. Les députés doivent être capable de discuter de l’organisation des établissements scientifiques et techniques comme la surveillance du risque sanitaire. Par exemple, l’Anses4 a été créée. Il faut expliquer pourquoi et comment ça fonctionne. Il faut accepter que ça ne puisse pas être un système parfait. Il faut pouvoir évaluer le fonctionnement de ces agences chargées de l’expertise des risques. L’Assemblée Nationale devrait se saisir de cette question dont le scandale du Mediator a montré l’importance.
M. Jean Pierre Leleux :
Une société qui ne mesure pas les conséquences du progrès scientifique et technique serait une société folle. Avec tout ce qu’il s’est passé, est ce que vous pensez que ce n’est pas déjà le cas ?
M. Sylvestre Huet :
Bien sur. Je vais prendre un exemple ancien et révélateur, les antibiotiques. En utilisant de manière trop imprudente les antibiotiques, on a généré des résistances aux micro-organismes pathogènes. On ne s’est pas posé de questions sur les conséquences de l’utilisation massive des antibiotiques alors que d’un point de vue théorique on savait qu’elle allait générer ces résistances. Aujourd’hui, il est difficile de revenir en arrière.
M. Hervé Razafimahaléo.
Vous pensez qu’une institution comme l’Académie de Médecine n’a pas fait son travail ?
M. Sylvestre Huet :
Les responsabilités sont collectives : les médecins, les académies, les universitaires n’ont pas évité cet usage abusif. Aujourd’hui je vois dans le programme de travail de l’ANSES, pour l’année 2013, la question des particules de nano-argent dans les textiles. On voit bien que l’offre est de plus en plus performante en termes de nanomatériaux. Les entreprises souhaitent utiliser ces matériaux le plus vite possible pour jouir d’un avantage compétitif. Il faudrait être plus prudent. Cela ne veut pas dire qu’il faut tout bloquer mais il faut se poser les bonnes questions au bon moment.

Evidemment, plus on est riche et plus c’est facile de se poser ces questions là. Pour les pays les plus pauvres, quand il faut sortir une vaste population de la misère, on a tendance à utiliser les technologies disponibles sans se poser de question. Ça peut provoquer des désastres. Par exemple en Inde du nord, la multiplication des puits pour l’eau. Cette eau était pleine d’arsenic naturel. On voit bien qu’on a des savoirs qu’il faut mobiliser pour avoir une attitude plus prudente envers les technologies.

Sur la question du gaz de schiste, la méfiance est telle qu’il est aujourd’hui impossible de demander des expertises sérieuses en France. Aujourd’hui le gaz peut être importé mais ça ne va pas forcement durer. Il pourrait être intéressant de savoir où et combien de gaz notre sous-sol contient. Aujourd’hui c’est impossible car il y a eu des images choquantes et aucune explication de la part des décideurs politiques. Les élus ont souvent tendance à « surfer sur la vague » des scandales à des fins électoralistes au lieu d’aider la société à réflechir à des problèmes complexes et de long terme. L’approvisionnement en gaz en est un.

Sur les plantes génétiquement modifiées, j’ai du mal à comprendre comment des élus régionaux ont voté des motions pour en interdire le principe même, sans en spécifier une seule. Si l’INRA développe une plante génétiquement modifiée dont l’usage serait compatible avec nos objectifs agricole et environnementaux, elle serait interdite ? C’est un non sens.
M. Jean Pierre Leleux :
Que pensez vous du rôle de l’OPECST ?
M. Sylvestre Huet :
Je me sers du travail de l’OPECST
M. Jean Pierre Leleux :
L’OPECST fait il figure de lobby ou d’éclairage indépendant ?
M. Sylvestre Huet :
L’OPECST serait plus crédible s’il était plus étoffé en nombre de parlementaires et de moyens techniques pour produire des travaux plus divers. Il y a eu une spécialisation sur les questions énergétiques. Le petit nombre de députés qui s’engagent dans l’OPECST est assimilé à ceux qui ont fait le choix du nucléaire et qui veulent le défendre. L’apport de députés faisant d’autre choix est resté marginal. Si les groupes parlementaires étaient plus impliqués, cette impression d’une délégation des sujets scientifiques à un petit groupe qui se renouvelle difficilement serait moins forte. Il y a l’impression d’un groupe de spécialistes à l’OPECST qui ne représente pas la réflexion des parlementaires dans leur globalité. En revanche, l’OPECST permet de montrer qu’il y a une action de la représentation nationale sur cette question là. Je vois très peu de journalistes aux auditions publiques de l’OPECST ce qui est dommage.

M. Jean Pierre Leleux.
On est pourtant 36. Ce n’est pas assez ? Quand on voit la diversité des sujets que les parlementaires ont a traiter, je pense que c’est déjà pas mal de mobiliser 36 parlementaires pour les questions scientifiques et techniques.
M. Sylvestre Huet :
On touche ici les problèmes du Parlement : les députés consacrent trop de temps à régler les problèmes de leur circonscription et pour assurer leur réélection et trop peu aux problèmes de la Nation.
M. Hervé Razafimahaléo :
Vous considérez comme nécessaire d’appliquer le principe de précaution pour les nouvelles technologies ?
M. Sylvestre Huet :
Il faut faire attention, souvent l’expression “principe de précaution”est utilisé à tort et à travers dans la presse. Il n’intervient pas lorsque l’on connaît les risques. Il peut intervenir quand on soupçonne qu’il y a un risque important et irréversible. Le principe de précaution est un principe d’action. Si je reprends l’exemple des nanomatériaux, la quasi totalité des programmes de recherches financés sont sur les potentialités économiques de ces matériaux. Il y a très peu de recherche sur les risques. La reconnaissance de l’exellence en recherche ne se fait pas sur l’expertise des risques mais sur les innovations. Cmment organiser le système scientifique pour avoir une autre démarche sur les risques ? Il faut se poser la question du fonctionnement du système recherche. Il ne faut pas avoir l’idée que chaque innovation est nécessairement positive au plan social. Les politiques doivent être conscients que les avancées technologiques s’accompagnent de risques. Par exemple, sous M. Sarkozy, le discours était de « mettre la recherche publique au service de l’industrie pharmaceutique », dans une perspective de créer de l’emploi. C’est un discours très dangereux. Car un industriel de la pharmacie ne fabrique pas un médicament pour soigner les gens mais pour gagner de l’argent avec sa vente. Un médicament qui soigne les gens mais ne rapporte pas d’argent n’est pas développé. C’est incontestable. Il faut donc que la société soit persuadée que la recherche publique est suffisamment bien financée et indépendante des industriels pour déterminer les risques des médicaments et être capable d’expertiser leurs propositions. Le Médiator nous a montré que nous ne pouvons pas faire une confiance aveugle aux entreprises privées et que la surveillance de leurs activités doit être renforcée.
Fin de l’audition.