Chers AJSPIENS,
Comme annoncé sur les réseaux sociaux, Yves Sciama, notre président était convoqué ce matin à une table ronde sur le thème de la communication de crise, devant la commission d’enquête sur la gestion de la crise du covid.
Voici le lien vers le replay de la séance https://videos.senat.fr/video.1753204_5f6aeb63af518.table-ronde-sur-la-communication-de-crise?timecode=10669158
(magie du replay, vous pouvez cliquer a gauche sur « Yves Sciama ») pour voir uniquement ses interventions)
Y sont abordés bien sur les questions de la communication politique en temps de crise mais aussi la question du science media center.
Et ci dessous, vous trouverez un script de son propos liminaire.
Bonnes lecture et visionnage à tous.
Audrey (pour le bureau)
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Bonjour à tous,
Je remercie les membres de la commission de m’avoir fait l’honneur de m’inviter, et n’ayant pas la notoriété d’un certain nombre de personnalités qui m’ont précédé devant vous je me permets de me présenter brièvement.
Je suis de profession journaliste scientifique indépendant, mon principal employeur est le magazine Science et Vie, mais j’écris également dans le quotidien Le Monde ou la revue internationale Science, et la santé faisant partie de mes spécialités et j’ai donc écrit plusieurs articles sur la crise du COVID, notamment durant le mois d’avril où les incertitudes étaient particulièrement grandes.
Surtout je suis depuis trois ans le président élu de l’AJSPI, qui est l’association qui en France regroupe les journalistes scientifiques. Je précise car ce n’est pas toujours bien compris que nous sommes journalistes scientifiques comme d’autres sont journalistes économiques, sportifs ou politiques ; nous ne sommes pas des scientifiques qui feraient du journalisme de temps en temps mais des journalistes professionnels qui couvrent la science.
Notre association compte près de 300 membres qui travaillent aussi bien pour des médias spécifiquement scientifiques que pour des quotidiens généralistes, des hebdomadaires, des radios ou, beaucoup plus rarement, des télévisions.
Cette crise sanitaire a été un séisme pour notre profession, car nous faisons le constat d’un véritable fiasco en matière d’information et de communication. Nous constatons tous, dans le courrier de nos lecteurs, sur les réseaux sociaux et dans notre vie quotidienne la montée d’une défiance généralisée, notamment vis à vis des médias, de la science et de ses institutions, pour ne rien dire du politique.
Nous voyons se propager, y compris dans des milieux sociaux éduqués et habituellement éclairés, un flux ininterrompu de fausses informations, dont beaucoup sont rocambolesques.
Nous voyons apparaître de prétendus experts, et notamment des médecins, défendant avec aplomb des points de vue à mille lieues de ce que dit la science, et trouver facilement des audiences plus importantes que celles des véritables experts.
Enfin, nous percevons un grand désarroi, en particulier parmi nos concitoyens les plus raisonnables devant l’état chaotique et souvent violent de l’information qu’ils reçoivent sur la pandémie.
Ce désastre nous interpelle d’autant plus qu’il y a une réelle soif de connaissance, d’information et de science dans le public. Et que cette pandémie, en faisant surgir un ennemi commun, fut-il microbien, aurait peut-être pu permettre à notre pays de faire bloc, de surmonter certaines de ses divisions, et de se convaincre de la valeur d’au moins une partie de ses élites.
Force est de constater que c’est exactement l’inverse qui s’est produit.
Comme toute crise de communication sanitaire, celle que nous vivons résulte des actions de trois parties, le monde médical, le politique et les médias, que je vais passer en revue brièvement.
Le principal problème côté médical a été l’irruption du Professeur Raoult qui dès le début de la pandémie a promu agressivement, sur la base de ses seules convictions, un traitement non prouvé. Et qui a continué quand les preuves de son inefficacité ont été fournies, puis se sont accumulées. Ce problème aurait sans doute pu être limité à l’apparition d’un pseudo-traitement miracle comme il en surgit dans toutes les épidémies, si les autorités scientifiques et médicales étaient intervenues fermement dès le début pour arrêter cette fuite en avant.
Mais l’institution médicale, à savoir l’ordre des médecins, l’ANSM, la HAS et les académies, sont restés silencieux. Ceci a ouvert la boîte de Pandore, et un nombre croissant de médecins, issus au début des sommets de l’institution, se sont sentis autorisés à prendre la parole et donner des avis sur la base de leurs seules convictions. Cette attitude s’est propagée au point qu’il est devenu admissible dans la profession médicale de dénigrer les responsables de santé publique et les mesures qu’ils préconisent, ce qui tend à rendre inaudible les nombreux excellents médecins qui s’exprimaient sur la base des études existantes. Cette situation perdure actuellement.
Ce dysfonctionnement de l’institution médicale a été aggravé par l’attitude du monde politique. Je passe sur la désastreuse affaire du mensonge sur les masques, qui a durablement discrédité la parole gouvernementale, même une fois que les recommandations du ministère de la santé sont devenues conformes à l’état du savoir scientifique. Nous pourrons y revenir si vous le souhaitez. Ce que je voulais souligner ici, c’est que le Professeur Raoult a trouvé des soutiens sur l’ensemble de l’échiquier politique, jusqu’à un ancien président de la République qui a pris sa défense, et même jusqu’à l’actuel président qui est allé lui rendre visite. Ces soutiens ont apporté du crédit au dénigrement de l’institution médicale, et renforcé l’idée que toutes les opinions sont légitimes en santé publique et que tout le monde est compétent pour en parler. Et les réseaux sociaux ont naturellement amplifié tous ces dérapages.
Enfin les médias ont leur part de responsabilité également. Mais comprenez que pour un journaliste de moins de 30 ans sans expérience des questions médicales, débordé, multitâche, et formé à la recherche de l’audience et du buzz, s’il travaille pour une chaîne d’information continue, une telle confusion n’aide pas à identifier les bons messages et les bons interlocuteurs.
Dans l’ensemble, les journalistes scientifiques ont remarquablement couvert la maladie. Relisez les pages « science » du Monde ou du Figaro, les magazines scientifiques, écoutez les émissions telles que la Méthode Scientifique, vous y trouverez très peu d’erreurs, même au moment où les incertitudes étaient les plus grandes.
Mais par contre les médias qui n’avaient pas de journalistes spécialisés, et notamment les télévisions d’information continue, n’ont pas su résister à la tentation du buzz et continuent à vouloir faire de l’audience, véhiculant encore aujourd’hui des messages scientifiques erronés voire absurdes, et la défiance à l’égard de l’institution médicale semée par les personnes qu’elles invitent, ce qui est à mes yeux une faute éthique.
Je note également que certains médias disposant de services « sciences » compétents ont néanmoins massivement promu dans leurs pages « opinions » et « débats » des points de vue scientifiquement infondés.
J’aimerais conclure sur un point – il y a dans l’actuel projet de loi sur la programmation de la recherche l’idée de mettre sur pied une Maison de la Science et des Médias, dont l’objectif serait d’améliorer le traitement médiatique de la science, et ce en fournissant, sur le modèle du Science Media Centre britannique, des contenus scientifiques tout préparés aux médias, des interviews déjà réalisées etc. pour pallier à leur illettrisme scientifique.
Nous pensons à l’AJSPI qu’une telle institution serait perçue comme une tentative de promouvoir une science officielle, et susciterait la défiance du public aussi bien vis à vis des médias que de la production scientifique.
En réalité, l’actuelle crise appelle à un réarmement scientifique des médias, qui doivent enfin investir ce champ social essentiel qu’est la science, ce qui passe par le recrutement de journalistes spécialisés, mais aussi par le fait de donner à ces journalistes davantage de poids face aux services politiques et économiques. Cela améliorera grandement l’information sur cette épidémie, et plus généralement l’information sur les grands enjeux de notre époque, climat, énergie, agriculture etc. qui ont tous une forte composante scientifique. (modifié)