Stéphane Horel est lauréate du prix du journalisme scientifique 2024 de l’AJSPI pour son travail sur les PFAS, des « polluants éternels ». La journaliste d’investigation au journal Le Monde enquête avec des méthodes inspirées par celles du milieu académique. Portrait.
C’est depuis la côte bretonne, loin des tumultes de Paris, que Stéphane Horel nous a accordé un entretien. La journaliste d’investigation au Monde depuis 2018 le précise d’emblée, « je ne suis pas parisienne d’origine ! J’ai beaucoup déménagé étant jeune et mes racines sont au Mont Saint-Michel, en Normandie. »
Passionnée de littérature, Stéphane a obtenu une licence de russe à la Sorbonne en 1996. Elle intègre ensuite le Centre de formation des journalistes (CFJ) à Paris, suivi d’un CDD de 3 mois au service société du journal Le Monde en 1999.
Depuis, elle a mené une activité sans relâche contre la désinformation scientifique, ainsi qu’un travail de recherche conséquent sur le lobbying et les dommages causés par les grandes firmes. Par exemple, Stéphane a enquêté sur l’influence des lobbys en Europe concernant la réglementation des perturbateurs endocriniens. C’est avant tout un besoin de comprendre qui l’anime, « je fais de l’économie circulaire avec la colère que je ressens. Elle se mue en motivation. »
La créativité au service de l’information
Stéphane est « une artiste coincée dans le corps d’une journaliste », d’après ses propres mots. Rien de surprenant lorsque l’on s’attarde sur son parcours professionnel.
Avant d’avoir un poste permanent de journaliste, elle a travaillé dans le domaine du documentaire pendant près de 15 ans. Son activité en tant qu’autrice et réalisatrice a été saluée par de nombreux prix, récompenses et nominations, tel que le prix Louise Weiss du journalisme européen pour son travail d’enquête sur les perturbateurs endocriniens. « L’aspect créatif est très important pour moi, je me suis beaucoup amusée et j’ai tout appris sur le tas », indique Stéphane.
C’est en participant à la fabrication des animations de ses documentaires qu’elle découvre le collage, jusqu’à ce que cela devienne une activité à part entière. L’ex-réalisatrice de documentaire précise qu’elle pourrait même « faire cela à temps plein ! » Certaines créations sont devenues des couvertures de livres qu’elle a écrits.
Stéphane a écrit six livres retraçant certaines de ses enquêtes. L’un deux, Intoxication lui a valu d’être nominée pour le prix Albert-Londres. Le métier d’écrivaine étant sa vocation première, elle ne compte pas s’arrêter là, « j’aimerais écrire à la première personne maintenant, un essai par exemple. »
Les supports sont différents mais l’objectif est le même : enquêter et rendre l’information accessible au plus grand nombre.
Le métier de « journaliste-chercheuse »
Stéphane a reçu le prix du journalisme scientifique 2024 de l’AJSPI pour son travail sur les substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS). Ces composés chimiques toxiques, aussi appelés polluants éternels, sont utilisés dans de nombreux secteurs et présentent un risque sanitaire considérable. Stéphane a coordonné l’enquête collaborative internationale Forever Pollution Project (FPP), visant à rendre compte de l’étendue de la pollution par les PFAS et réunissant 18 médias à travers l’Europe.
Ce projet est inédit sous plusieurs aspects. De par son ampleur, mais aussi par sa méthodologie de collecte de données, qui a fait l’objet d’une publication scientifique dans Environmental Science & Technology en 2024. Cette dernière est cosignée par des scientifiques spécialistes des PFAS et des journalistes du FPP, dont Stéphane Horel qui est également corresponding author de l’article. Le Monde parle d’expert-reviewed journalism, du journalisme appuyé par des spécialistes.
Stéphane se dépeint comme « journaliste-chercheuse », tant ses méthodes d’investigation sont tirées du monde académique. Pour elle, « c’est une immense fierté que les chercheurs qui nous ont aidé aient accepté de soutenir publiquement la méthodologie, c’est un vrai gage de légitimité. »
Un travail collectif avant tout
C’est avec un grand sourire et pleine d’humilité que Stéphane parle de toutes les personnes ayant travaillé pour le Forever Pollution Project. « C’est toujours un peu bizarre de gagner personnellement un prix pour un travail collectif, confie-t-elle. Tout cela aurait été impossible sans l’implication de Gary Dagorn et Raphaëlle Aubert, journalistes au Monde, ainsi que Luc Martinon, data-journaliste indépendant, pour ne citer que les français. »
En tout, ce sont des journalistes venant de 13 pays d’Europe différents qui ont collaboré sur cette enquête. Elle insiste : « la coordination aurait été impossible sans l’appui de Arena for Journalism in Europe. » C’est une référence en Europe en matière de journalisme d’investigation, dont l’objectif est de promouvoir et supporter des initiatives comme celle du FPP.
Aujourd’hui, en parallèle de l’écriture d’un nouveau livre, Stéphane Horel continue son travail de pionnière pour un journalisme d’investigation scientifique, collaboratif et centré sur l’écologie.
Thomas Lefèvre
Comments (1)
Très bon article qui retrace le parcours de Stéphane Horel, une « journaliste-chercheuse » à suivre !
Son intervention à la remise du prix AJSPI 2024 était très intéressante.
Hâte de lire ses prochains travaux 🙂