Lauréat 2025 du prix AJSPI du journaliste scientifique de l’année, Vincent Lucchese a toujours voulu comprendre le monde qui l’entoure pour apprivoiser son anxiété. Il s’épanouit aujourd’hui à la rédaction de Reporterre entre vulgarisation scientifique et engagement.

C’est dans une cantine « tout bio, tout maison » du 3e arrondissement de Paris que s’installe Vincent Lucchese, lauréat du prix du journaliste scientifique 2025 de l’AJSPI. « C’est le QG de la rédac’ [de Reporterre] » plaisante-t-il en s’asseyant à l’ombre du soleil caniculaire de ce mois de juin.

Au bout de quelques minutes seulement, Vincent parle de son anxiété comme étant « un moteur assez fort ». Une force qui l’a amené à vouloir comprendre le monde qui l’entoure. Jamais avare d’exemples, ses yeux s’illuminent au fil du déjeuner quand il évoque Vénus, la formation des nuages ou encore une nappe phréatique vieille de 10 000 ans.

Enfant dans l’Essonne, il se rêve archéologue. Puis y renonce. « Je ne l’ai pas fait parce qu’on m’a dit qu’il n’y avait pas de travail, que c’était trop précaire… tout ça pour finir journaliste ! » s’exclame-t-il. En 2007, il se lance, après le baccalauréat, dans une prépa maths sup : « j’étais engagé sur la voie ingénieur comme mon oncle et mon père ». Finalement, il se réoriente un an plus tard vers une double licence en histoire et sciences politiques avant de rejoindre une école de journalisme, par hasard, ou presque. « J’ai toujours eu envie de papillonner sur plein de sujets, le journalisme c’était cohérent mais j’ai mis du temps à m’en rendre compte. » D’autant que son goût pour la vulgarisation n’a jamais été loin. Avec son ami d’enfance Yacine, ils réalisent pour une épreuve du baccalauréat une vidéo sur la musique et les mathématiques. « C’était une sorte de C’est pas sorcier, avec des maquettes et une table à repasser en guise de table d’expérimentations ! » se remémore Yacine.

« Répondre à mes questionnements »

Il débute sa carrière en 2013 à la Quotidienne de France 5 où il a spontanément pris en charge les séquences de vulgarisation. Mais c’est surtout en 2016 lorsqu’il rejoint Usbek & Rica (devenu FUTU&R) que son regard de journaliste scientifique s’aiguise. Toujours avec la soif de répondre à ses « questions existentielles », le trentenaire crée le podcast 300 milliards d’étoiles en 2018. Pendant près de deux ans, il invite des chercheur.es à parler d’astronomie et d’astrophysique : sujets qui l’ont toujours fasciné. « Comprendre les dynamiques à une échelle de temps qui nous échappe me rassure et permet de moins angoisser sur ma place dans le monde. »

C’est aussi à cette période qu’il prend conscience de l’ampleur de la crise climatique en cours. Il avait déjà entamé ce cheminement lors de son entrée dans les études supérieures. « Le fait d’entrer en école de journalisme et de s’émanciper de sa famille lui a permis d’affirmer ses convictions » explique Yacine. Pour Vincent, cultiver cette radicalité est d’abord passé par l’écologie avant de s’étendre à l’esprit critique et aux valeurs de la gauche.

Danser entre émerveillement et urgence climatique

Après un passage chez Futura en tant que rédacteur en chef du mook trimestriel, il intègre la rédaction de Reporterre en 2023 en tant que journaliste scientifique. Il combine alors sa curiosité et son engagement dans les luttes écologiques. « C’est une des personnes les plus écoanxieuses de la rédaction. Son travail est sa façon à lui de lutter » pense Justine Guitton-Boussion, sa collègue de bureau. Vincent jongle entre la dimension anxiogène de la réalité, la documentation des enjeux de pouvoir et « l’émerveillement » lorsqu’il explique les grands phénomènes climatiques en jeu. « Ces moments de vulgarisation, c’est comme des bouffées d’air pour les lecteurices mais aussi pour moi » dit-il entre deux bouchées. Cette alternance se retrouve dans son livre, Une France sans eau (2023, Ed. Alisio), ouvrage présentant les enjeux de l’eau face au changement climatique.

Ecrire un livre, faire des chroniques en radio, creuser des sujets, Vincent ne s’arrête jamais. Comme le dit Justine, « il a toujours mille projets en cours. Il a à cœur de montrer la réalité des faits scientifiques mais aussi de montrer que l’écologie n’est pas un truc de rabat-joie et qu’on peut aspirer à un monde pas capitaliste mais joyeux. » Il coordonne d’ailleurs les nouvelles de science-fiction du média. Il s’efforce de faire réfléchir les auteurices à des mondes plus amusants qu’une triste dystopie.

Besoin d’air

Malgré tout, l’écoanxiété est toujours là, en toile de fond. Comment ne pas se laisser submerger ? « Je n’ai pas encore trouvé la recette » ironise-t-il. Lorsqu’il n’est pas à un spectacle d’improvisation ou à un atelier de danse lindy hop, il s’éloigne physiquement de Paris. Direction la Bretagne, région qu’il affectionne pour l’océan, ses paysages, son dynamisme associatif et « son avenir climatique viable ». Ce passionné d’ornithologie a franchi un cap : il a pris le large pour Brest, pour de bon.

Et si ça ne suffit pas, alors il lui restera son humour. « Vincent est quelqu’un de profondément drôle, plein d’autodérision » confie Justine en riant. D’ailleurs, même s’il est hésitant sur ses projets futurs, il voudrait remettre plus d’humour et de légèreté dans son travail parce que « même si c’est la merde, en rire, ça fait du bien ».

Lola Broyer Benoit