Antoine Kremer est le lauréat 2021 du Prix de photoreportage scientifique AJSPI. À 29 ans, ce photographe professionnel s’est engagé auprès de la glaciologue française Heidi Sevestre pour participer à plusieurs campagnes d’observation. Ensemble, ils documentent la disparition des glaciers tropicaux et les conséquences socio-environnementales qu’elle engendre.
Visage candide entouré de boucles blondes, sourire doux, la timidité apparente d’Antoine s’efface très vite lorsqu’on aborde son métier. C’est alors détermination, sérieux et passion qui s’allument derrière ses pupilles.
Passionné par le journalisme et la photographie depuis toujours, diplômé en histoire de l’Art et de l’école de photographie parisienne EFET, Antoine effectue son premier stage au sein de l’ONG Médecin Sans Frontière auprès des mineurs isolés. Il se met ensuite à son compte et publie dans la revue “180°C” un premier reportage effectué dans une ferme auprès des prisonniers en fin de peine, réinsérés grâce au travail. L’expérience le conforte dans sa volonté de mettre son art au service des causes qui le touchent. « Aujourd’hui, la photographie est partout. C’est aux citoyens de choisir s’ils désirent une image belle ou parlante. L’esthétisme gratuit, ça ne m’intéresse pas ».
Ses modèles se nomment Donald McCullin, Richard Mosse, mais aussi Jan Grarup, Eric Bouvet, Guillaume Herbaut, Claudine Doury ou encore Piéter Hugo, pour ne citer qu’eux. Antoine veut photographier pour sensibiliser, dénoncer et témoigner. Qu’il s’agisse de causes humanitaires ou environnementales, si elles ont su toucher ce philanthrope, aucun obstacle ne l’empêche de les rallier. Pas même l’altitude. Sa ténacité et son talent, il nous les serre sur des plateaux, et pas des moindres : les plateaux rocheux où siègent les glaciers tropicaux.
Lorsqu’en 2019 la glaciologue Heidi Sevestre, coordinatrice de projet pour l’association AMAP (Arctic Monitoring and Assessment Programme) recherche un photographe pour l’accompagner dans ses expéditions, Antoine postule et est retenu sans hésitation. Quelques mois plus tard, les voici à affronter des pentes à plus de 5000 m d’altitude pour atteindre les fronts des glaciers colombiens. De deux glaciers, plus exactement : le massif du Névado Santa Isabel situé à l’ouest de Bogota et celui de La Sierra Nevada El Cocuy o Güican, dans le Nord-Est du pays. Pour les atteindre, ils rencontrent d’abord les anciens de la communauté Muisca, ethnie amérindienne majoritaire de la région. Lieu de naissance de leurs dieux, le glacier est sacré et interdit. L’équipe convainc et obtient leur accord pour s’y rendre. La population leur confie également son inquiétude quant aux impacts dévastateurs sur la biodiversité et l’accès à l’eau douce de la fonte des glaciers.
Les objectifs scientifiques de la mission sont multiples : observer et photographier le site, travailler avec le Dr Jorge Ceballos, glaciologue à l’institut colombien IDEAM mettre en place des caméra time lapse, collecter des témoignages. Un autre objectif est l’éducation : l’équipe souhaite sensibiliser le monde à la disparition des glaciers tropicaux, sujet trop peu cité, en partageant ses observations d’une manière visuelle pour mieux capter l’attention. Dans cette optique, la photographie a toute son importance. L’image comme langue universelle pour asséner des messages coups de poings, c’est bien ainsi qu’Antoine conçoit la photographie : « un médium sensible, accessible à tous, qui permet plusieurs niveaux de lecture et de raconter une histoire en langue universelle ».
L’expédition est une réussite et Antoine remporte le prix photoreportage 2021 de l’AJSPI pour ce travail. Mais l’aventure ne s’arrête pas là. Alors que l’équipe envisage une expédition similaire en Ouganda, l’instabilité politique les incite à repartir en Colombie à la place en novembre 2021. Là-haut, devant les contours amoindris des glaciers qu’ils connaissent, le verdict est sans appel : ils ne s’attendaient pas à une fonte aussi rapide. Les images deviennent paramètres scientifiques. Elles capturent la réalité et complètent les mesures instrumentales.
Lorsqu’il ne crapahute pas sur les sommets du monde, Antoine s’adonne à un autre projet de photoreportage qui lui tient à cœur. Un sujet plus proche, plus humble, plus personnel aussi. Il rejoint Forbach, petite commune de Moselle, terre de son enfance de 21 000 âmes, ancienne cité minière aujourd’hui désertée par ses habitants.. En constatant les vitrines vides, les centres commerciaux qui digèrent les derniers petits commerces, les récits oubliés, c’est l’intimité de son histoire qu’il documente, esquissant le destin silencieux des villes abandonnées.
Ici, Antoine se délecte de travailler avec sa technique favorite : la photographie argentique. Appareil à pellicules, trépied, boîtier à l’ancienne. Il aime construire toutes les pièces de son sujet, jusqu’au développement des clichés dans son laboratoire. À Forbach, l’anachronisme du matériel se remarque à peine en ces rues où le temps s’est arrêté, comme la technique argentique, avec la mine. Pour lui, les modèles posent comme autrefois, tels qu’ils sont. Avec sensibilité, il immortalise, témoigne, fige les regards, les rides, les vitrines. Il apprécie par-dessus tout l’esthétisme unique qu’offre cette technique contrastée et la temporalité floue obtenue, voisine de celle reflétée par la ville.
A travers ce travail, il espère donner la parole aux villages désertés de France, en révéler la détresse mais aussi la beauté, ainsi que la possibilité d’offrir un nouvel élan à ce patrimoine précieux.
Lien internet : https://antoinekremer.com/