Stéphane Foucart, rédacteur au Monde et auteur de plusieurs livres d’investigation autour des enjeux environnementaux, est acclamé par certains, conspué par d’autres. Portrait d’un journaliste sans compromis.
Tout d’abord connu et reconnu pour son combat contre les climatosceptiques au début des années 2000, Stéphane Foucart reçoit le prix du journaliste de l’année de l’AJSPI en juin 2016. Un an après, ce sont les Monsanto papers – ces révélations provenant de documents internes à l’entreprise à propos du glyphosate – qui le mettront sur le devant de la scène journalistique internationale. Récompensé par le prix européen du journalisme d’enquête en mars 2018, il se dit très heureux – et un peu surpris – de voir qu’un sujet touchant à l’intégrité scientifique puisse être remarqué par un jury aussi prestigieux
Certains l’accusent d’être militant – « monsieur anti-pesticide », « ayatollah vert ». Mais lui récuse complètement ce qualificatif : « Énoncer un fait scientifique ne doit pas être interprété comme du militantisme parce qu’il dérange des intérêts économiques ». Il n’est pas non plus obsédé par les risques environnementaux, mais étant à la rubrique Planète du Monde, il considère que c’est son travail d’en parler. « On n’accuse jamais un journaliste économique d’être militant parce qu’il ne parle que d’économie » , fait-il remarquer.
Etre militant, c’est pour lui comme pour beaucoup être partial. « Si je l’étais, j’aurais soutenu Séralini dans sa croisade anti-OGM. » Mais il a préféré rester prudent. Pour autant, il ne croit pas à l’objectivité absolue et se déclare engagé pour défendre des valeurs : « Je préfère que la population soit en bonne santé, dans un environnement qui ne soit pas détruit ».
Un journaliste en première ligne
Son arme de journaliste scientifique ? Les preuves. Mais démontrer de la nocivité d’une technologie demande beaucoup de temps. En pratique, « la preuve n’est souvent obtenue qu’au prix du dégât » – des maladies ou même des morts, des dizaines d’années après son introduction. C’est pourquoi il défend le principe de précaution – « prendre plus de temps pour faire plus de recherche » – trop peu appliqué selon lui.
Irait-t-il jusqu’à parler de complot ? « Si un complot, c’est une minorité de personnes qui manoeuvre pour soustraire la réalité des faits à la majorité pour leur bénéfice propre, alors oui, il peut y avoir et il y a eu des complots. » Pour n’en citer qu’un, Stéphane Foucart renvoie à l’enquête du New York Times sur le combat de l’avocat Robert Billot contre les activités de l’industriel DuPont, récemment adaptée dans le récent film Dark Waters.
Mais mettre sur le même plan ce genre d’interrogations avec les théories farfelues comme celles des platistes, c’est pour lui une façon de discréditer les journalistes d’investigation couvrant les enjeux environnementaux. Exactement comme les qualifier de militants : « Cela permet de contourner les éléments factuels et de les disqualifier sans y répondre sur le fond ». Son meilleur exemple ? Rachel Carson et son Printemps silencieux, écrit il y a déjà soixante ans à propos des pesticides.
De même, il a fallu presque cinquante ans pour se convaincre de la réalité du changement climatique… Les fantassins des sujets environnementaux sont donc condamnés à se répéter : « C’est une sorte de pénibilité chronique de notre métier ». Pénible, « mais rien à voir avec le danger qu’encourent les journalistes qui couvrent les conflits, ceux qui sont reporters en Irak ou en Palestine », atténue-t-il.
La science, alliée de toujours
Stéphane Foucart se définit avant tout comme un journaliste scientifique. De par son parcours, tout d’abord, puisqu’il étudie la physique à l’université jusqu’à la maîtrise. Bien qu’il estime toujours que « faire de la science, c’est plus important que d’en rendre compte », son besoin d’ouverture le pousse vers le journalisme, en passant par l’ESJ Lille. Il vivra deux ans en Jordanie en tant que coopérant dans un journal local avant d’entrer en 2000 au Monde à la rubrique Science.
C’est grâce à sa méthodologie qu’il parviendra à démêler les controverses autour du climat. Méthodologie propre au journalisme scientifique et qui pour Stéphane Foucart est parfaitement mise en avant à l’AJSPI : « se baser principalement sur des données publiées, avoir un recul critique sur la manière dont l’autorité de la science est mobilisée dans le débat public, avoir une approche prudente face à l’information… »
Egalement membre de l’Union Rationaliste, Stéphane Foucart se dit défenseur d’un rationalisme historique – pas celui dont beaucoup se réclament aujourd’hui – et humaniste : « pour l’autonomie de la science et pour mettre la connaissance scientifique au service de l’amélioration de la vie des hommes ». Le journaliste doit donner les armes au citoyen, les munitions intellectuelles, pour se faire un avis éclairé sur l’apport des sciences et technologies dans nos sociétés.
Le journaliste cultive donc un recul bienveillant mais critique sur ce que les scientifiques mettent dans le débat public. Tel Albert Londres qui écrivait à propos des reporters de guerre : « Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus que de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie ». Le combat de Stéphane Foucart reste aujourd’hui plus que jamais la lutte contre la désinformation, objet du livre Les gardiens de la raison tout juste paru.
Lucile Veissier